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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/200

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n’écoute point l’Église ? Comment aussi donne-t-il les clefs à ses apôtres ? Car s’ils n’ont pas droit de juger, ils n’ont pas droit non plus d’user de ces clefs, et ce serait en vain qu’ils auraient reçu la puissance de lier et de délier. De plus, si cette liberté de pécher impunément prévalait dans le monde, tout serait en confusion et dans l’Église, et dans l’État, et dans les familles. Car si le maître ne se rendait point juge de son serviteur, et la maîtresse de sa servante, le père de son fils, et l’ami de son ami, à quel excès monteraient enfin les crimes et les désordres ? Et non seulement un ami doit juger son ami, mais nous devons juger et reprendre nos ennemis même, puisqu’à moins de cela nous ne pourrions jamais terminer les différends que nous avons avec eux et que tout serait livré à un bouleversement universel.
Quel est donc le sens précis de la parole évangélique ? Examinons-la avec soin, afin que personne ne soit tenté de voir dans ces lois, qui sont des remèdes de salut et de paix, des instruments de subversion et de trouble. Jésus-Christ fait assez voir par la suite aux personnes intelligentes, quelle est la force de ce précepte, et comment on doit l’entendre, lorsqu’il reprend ceux qui voient « une paille dans l’œil de leur frère, et qui ne s’aperçoivent pas d’une poutre qui est dans le leur. » Peut-être que cette parole paraîtra encore obscure à quelques esprits paresseux, mais j’espère, en remontant au principe, pouvoir l’éclaircir complètement.
Il me semble donc que Jésus-Christ ne défend pas absolument de juger tous les péchés, et qu’il n’ôte pas ce droit généralement à tout le monde, mais seulement à ceux qui, remplis eux-mêmes de vices, condamnent insolemment dans leurs frères les défauts les plus légers. Il me semble qu’il désigne particulièrement les Juifs, qui étaient de très sévères censeurs des moindres fautes des autres, et qui ne voyaient pas dans eux-mêmes les plus grands excès. Jésus-Christ leur fait ce reproche vers la fin de cet évangile : « Vous liez », leur dit-il, « des fardeaux pesants et qu’on ne saurait porter, et vous les mettez sur les épaules des autres ; pour vous, vous ne voulez pas les remuer seulement du doigt. (Mt. 23,14) Vous payez la dîme de la menthe, du « cumin et de l’aneth, pendant que vous négligez ce qu’il y a de plus important dans la loi, la justice, la miséricorde et la foi. »(Id. 23) C’est aussi contre ces mêmes Juifs que paraît dirigée la parole qui nous occupe ; c’est une réponse anticipée aux accusations qu’ils devaient élever contre les disciples. Les pharisiens leur imputaient à péché des choses qui n’étaient pas réellement des péchés : comme de ne pas garder le sabbat, de se mettre à table sans se laver les mains, et de manger avec les publicains et les pécheurs : ce que le Sauveur appelle ailleurs « passer ce que l’on boit, de peur d’avaler un moucheron, et avaler néanmoins un chameau. » (Mt. 23,24)
Ce sont ces sortes de jugements contre lesquels Jésus-Christ donne ici une loi absolue. Saint Paul ne défend pas aux Corinthiens, simplement de juger, mais seulement de juger ceux qui étaient établis pour les conduire ; ni de juger des matières qui ont acquis une notoriété publique, mais seulement des choses cachées et incertaines. Il ne leur défend pas absolument de corriger ceux qui péchaient, et la défense qu’il fait ne s’adresse pas indistinctement à tous, mais seulement aux disciples, qui avaient la hardiesse de juger et de condamner leurs maîtres, et à ceux-qui, coupables de mille crimes, publiaient des médisances atroces contre les personnes les plus innocentes. C’est aussi ce que le Christ donne ici à entendre ; que dis-je, donne à entendre ! C’est ce qu’il défend expressément sous la menace d’un supplice inévitable, lorsqu’il ajoute : « Vous serez jugés selon que vous aurez jugé les autres. Et on se servira envers vous de la même mesure dont vous vous serez servi envers les autres (2). » Ce n’est pas votre frère, dit-il, que vous condamnez, c’est vous-même ; vous dressez contre vous un redoutable tribunal, devant lequel vous rendrez un compte rigoureux. Dieu donc nous mesurera « à notre mesure ; » et comme il nous pardonnera nos péchés, selon que nous aurons pardonné aux autres, il nous jugera de même selon que nous les aurons jugés. Il faut non pas injurier ni insulter, mais avertir ; non pas accuser, mais conseiller. Il faut redresser votre frère avec des témoignages d’affection et de tendresse, et non s’élever contre lui avec insolence. Ce n’est pas votre frère, c’est vous – même que vous livrerez au dernier châtiment, si vous le traitez sans ménagement, lorsqu’il vous faudra prononcer sur ses manquements.