Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/201

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

2. Admirez donc, mes frères, combien ces deux commandements de Jésus-Christ sont doux et comme ils sont une source ou de biens pour ceux qui les pratiquent, ou de maux pour ceux qui les méprisent. Car celui qui pardonne à son frère, c’est lui-même plus encore que son frère qu’il absout de tout grief et cela sans peine aucune ; et celui qui juge les fautes des autres avec ménagement et indulgence, s’amasse un trésor de miséricorde pour le jour auquel Dieu le jugera.
Vous me direz peut-être : Mais si un homme tombe dans la fornication, ne lui dirai-je point que la fornication est un grand crime et ne le reprendrai-je pas de son dérèglement ? Oui, reprenez-le, non comme un ennemi qui cherche à se venger, mais comme un médecin qui veut guérir un malade. Jésus-Christ ne vous dit pas : Ne l’empêchez point de pécher, mais « ne le jugez pas ; » c’est-à-dire ne le condamnez pas avec aigreur. Car il ne parle point ici, comme je l’ai déjà dit, des grands péchés, de ces crimes scandaleux, mais de ceux qui paraissent l’être et ne le sont pas. C’est pourquoi il dit ensuite : « Pourquoi voyez-vous une paille dans l’œil de votre frère lorsque vous ne vous apercevez pas d’une poutre qui est dans le vôtre (2) ? Ou comment dites-vous à votre frère : Laissez-moi ôter la paille qui s est dans votre œil, vous qui avez une poutre dans le vôtre (4) ? » C’est une faute où tombent aujourd’hui la plupart des gens du monde. S’ils voient un religieux avoir un habit de trop, ils osent lui reprocher aussitôt cette superfluité et ils lui objectent la règle que Jésus-Christ donne dans l’Évangile, lorsqu’ils ravissent eux-mêmes le bien d’autrui et qu’ils s’enrichissent par l’injustice et la violence. S’ils voient un solitaire prendre un peu plus de nourriture qu’il ne devrait, ils prennent aussitôt le rôle d’accusateurs sévères, eux qui passent toute leur vie dans les excès de bouche et de vine Ils ne s’aperçoivent pas qu’outre ce que méritent déjà leurs crimes, ils s’attirent encore de bien plus cruels supplices, et que, par cette liberté de juger, ils se rendent entièrement inexcusables. Car vous forcez Dieu de vous traiter avec rigueur par la rigueur dont vous usez et vous l’obligez d’examiner sévèrement votre vie, lorsque vous jugez si durement celle des autres. Ne vous plaignez donc pas un jour, si vous recevez le traitement que vous vous serez attiré vous-mêmes. « Hypocrite, ôtez premièrement la poutre qui est dans votre œil, et après cela vous verrez comment vous pourrez tirer la paille de l’œil de votre frère (5). » Jésus-Christ nous marque par ces paroles combien il est animé contre ceux qui agissent de la sorte. Car toutes les fois qu’il veut témoigner qu’un péché est grand, qu’il le regarde dans sa colère, et qu’il le punira très sévèrement : il commence toujours à reprendre ceux qui le commettent, par une parole de condamnation et de reproche. C’est ainsi qu’il dit d’abord avec indignation à ce serviteur qui exigeait si cruellement cent deniers de son frère : « Méchant serviteur, je vous avais remis tout ce que vous me deviez. » (Mt. 18,32) Il commence ici de même par dire : « Hypocrite. » Car ce jugement si sévère contre nos frères ne peut venir d’une charité compatissante, mais d’une inhumanité cruelle. Cet homme paraît ami à l’extérieur, mais il agit comme un ennemi plein de fiel, en attribuant de faux crimes à son frère, et prenant insolemment la place de juge, lorsqu’il ne mérite pas même celle de disciple. Voilà pourquoi Jésus-Christ l’appelle « hypocrite. » Comment, lui dit-il, pouvez-vous être un censeur si rigoureux quand il s’agit des moindres fautes de vos frères, et au contraire, quand il s’agit des vôtres être négligent, et distrait, au point de passer sans rien voir, sur les plus grosses ? « Otez premièrement la poutre qui est dans votre œil : et après cela vous verrez comment vous pourrez tirer la paille de l’œil de votre frère. »
Jésus-Christ ne défend donc pas absolument de juger ; mais il nous commande de commencer par ôter la poutre de notre œil, et de corriger ensuite nos frères. Car il est certain que chacun connaît toujours mieux son état que celui des autres, qu’il aperçoit plus aisément les grandes choses que les petites, et qu’il s’aime toujours plus qu’il n’aime son frère. Si c’est donc la charité qui vous porte à reprendre les autres, usez-en premièrement envers vous-même en condamnant votre péché qui est plus grand et plus visible. Que si vous négligez votre propre salut, il est constant que vous ne traitez pas ainsi votre frère parce que vous l’aimez, mais parce que vous le haïssez, et que vous voulez le déshonorer. S’il est nécessaire que votre frère soit jugé, ce n’est pas vous qui le devez faire, mais quelque autre qui soit exempt du mal qu’il reprend.