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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/202

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Comme le Sauveur établissait ici les plus hauts points de la vertu chrétienne, il fallait que personne ne pût lui objecter que c’était toujours chose aisée d’être parfait en paroles : c’est donc pour montrer la ferme confiance qu’il a d’être demeuré pur de toute faute, d’avoir toujours marché dans la voie droite, qu’il se sert de cette comparaison que nous venons de voir. C’est pourquoi, s’il a depuis jugé et condamné les pharisiens en leur disant : « Malheur à vous ! scribes et pharisiens hypocrites (Mt. 23,19) », il a pu le faire en toute justice, puisqu’il était irrépréhensible de ce qu’il reprenait dans les autres. On ne pouvait pas dire de lui qu’il avait une poutre dans son œil, et que ce n’était qu’une paille qu’il voulait enlever de l’œil des autres, puisqu’il reprenait de grands péchés dont il était lui-même parfaitement pur. Car nul ne doit condamner son frère, lorsqu’il est lui-même coupable de ce qu’il reprend en lui. Et faut-il s’étonner que Jésus-Christ établisse cette loi, puisqu’un voleur même l’a gardée, lorsqu’étant en croix, il dit à celui qui était le compagnon de ses crimes et de son supplice : « N’avez-vous donc point de crainte de Dieu, vous qui vous trouvez condamné au même supplice ? » (Lc. 23,40) Parole par laquelle il exprime la même pensée que Jésus-Christ. Mais vous, vous êtes si loin de rejeter la paille qui est dans votre œil, que vous ne la voyez pas même.
Et cependant vous voyez dans l’œil de votre frère jusqu’à la moindre paille. Vous le jugez et vous entreprenez de le corriger. Vous ressemblez à celui qui étant hydropique ou atteint de quelqu’autre mal incurable, le négligerait, et qui blâmerait en même temps son frère, de n’avoir pas soin de guérir une petite enflure qui lui serait survenue. Si c’est un mal de ne pas voir ses défauts ; c’en est un incomparablement plus grand de juger les autres, et de voir une paille dans leur œil, lorsqu’on ne sent pas une poutre dans le sien. Car le péché est plus pesant dans une âme, qu’une poutre ne le serait dans les yeux.
3. Jésus-Christ donc ordonne parce précepte, que celui qui s’est noirci de vices, ne s’érige point en censeur de ses frères, surtout lorsque leurs fautes ne sont pas considérables. Il ne défend pas généralement de corriger nos frères ; mais il ne veut pas que nous dissimulions nos propres défauts, lorsque nous nous élevons avec insolence contre ceux des autres. Cette déposition ne peut servir qu’à faire croître notre malice, et à nous rendre doublement coupables. Car celui qui néglige ses propres fautes, quoiqu’elles soient grandes, et qui reprend avec aigreur celles des autres, qui sont beaucoup moindres, fait un double mal : premièrement en ce qu’il néglige de se corriger ; secondement en ce qu’il attire sur lui par ses répréhensions, la haine et l’aversion de tout le monde, et qu’endurcissant son cœur de plus en plus, il s’accoutume à devenir cruel et impitoyable.
Après avoir remédié à tous ces maux par l’établissement de cette belle loi, Jésus-Christ passe à un autre commandement. « Ne donnez point les choses saintes aux chiens, et ne jetez point vos perles devant les pourceaux (6). » D’où vient donc qu’il dit ensuite : « Dites dans la lumière ce que je vous dis dans l’obscurité, et prêchez sur le haut des maisons ce qui vous a été dit à l’oreille ? » (Mt. 10,27) Mais l’un de ces commandements ne combat point l’autre, parce que ce dernier n’ordonne pas aux apôtres de prêcher la vérité indifféremment à tout le monde, mais seulement de la prêcher avec assurance à ceux qu’il faudrait en instruire. Il entend par ce mot de « chiens », ceux qui sont tellement endurcis dans le mal, qu’ils paraissent entièrement incurables, et ne laissent pas espérer de conversion : et par celui de « pourceaux », il marque ceux qui sont plongés dans les vices les plus infâmes. Il déclare que toutes ces personnes sont indignes d’entendre la vérité. Saint Paul exprime la même pensée lorsqu’il dit : « L’homme animal ne perçoit point ce qui est de l’Esprit : c’est folie à ses yeux. » (1Cor. 2,14) Et il témoigne en beaucoup d’autres endroits que la corruption des mœurs rend les hommes incapables d’entendre les instructions les plus relevées. C’est pourquoi l’Évangile nous défend de découvrir à ces hommes les secrets de Dieu, parce qu’ils deviennent plus insolents après les avoir appris. Ceux dont l’esprit est sage et réglé, admirent ces vérités saintes, lorsqu’elles leurs ont révélées ; mais les insensés les respectent davantage, lorsqu’ils les ignorent. Puis donc qu’ils n’ont pas assez de lumière naturelle pour les comprendre, qu’ils demeurent dans cette ignorance qui les entretient dans le respect, Un pourceau ne peut savoir quel est