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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/208

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Ce second membre de notre Évangile n’est pas une redite. Car afin que personne ne pût dire : Il est vrai qu’un méchant arbre porte de mauvais fruits, mais il en peut aussi porter de bons, et ainsi le discernement de ces deux sortes de fruits est difficile à faire, il prévient cette objection, et dit généralement : « Le mauvais arbre ne peut porter que de mauvais fruits, comme le bon n’en porte que de « bons. » Ce qu’on doit dire aussi du contraire. Quoi donc ! me direz-vous, n’a-t-on jamais vu un homme de bien devenir méchant, ni un méchant se convertir et devenir bon ? Oui, on en a vu, et la vie est pleine de ces exemples. Jésus-Christ aussi ne dit pas qu’un pécheur ne puisse se convertir, ou qu’un juste ne puisse tomber : mais seulement que pendant que le pécheur demeure dans le péché, il ne peut porter de bon fruit. Car il est hors de doute qu’un méchant homme peut devenir bon, mais il est aussi très constant que tant qu’il demeure dans le mal, il ne portera point de bon fruit.
Comment donc, me direz-vous, David qui était bon a-t-il porté de mauvais fruits ? Je vous réponds qu’il n’a pas porté ces mauvais fruits en demeurant bon, mais en devenant méchant. S’il fût demeuré bon comme il était, il n’aurait point porté ce mauvais fruit. Car, en se conservant dans la vertu, il n’eût jamais osé commettre un tel crime. « Tout arbre qui ne produit point de bon fruit sera coupé et jeté au feu (19). Vous les reconnaîtrez donc par les fruits qu’ils produiront (20). » Jésus-Christ disait ceci pour arrêter l’insolence des calomniateurs et pour fermer la bouche à la médisance. Car comme la plupart des hommes confondent les bons avec les méchants, Jésus-Christ par ces paroles veut leur ôter toute excuse. Vous ne pourrez pas me dire un jour : j’ai été trompé, j’ai été surpris ; car je vous ai donné une règle certaine qui est de juger des hommes par leurs actions, et de passer aux œuvres pour ne vous point tromper dans vos jugements. Et parce qu’il ordonnait non de punir ces personnes, mais seulement « d’y prendre garde », pour consoler tout ensemble ceux qui sont trompés par eux, et pour étonner ces imposteurs et les convertir, il leur met sous les yeux cette terrible vengeance qu’ils doivent attendre de lui. « Tout arbre qui ne produit point de bon fruit sera coupé et jeté au feu (19). Il tempère ensuite cette parole lorsqu’il ajoute : « Vous les connaîtrez donc par les fruits qu’ils produiront. » Et pour témoigner qu’il ne faisait point cette menace avec la résolution arrêtée de l’exécuter, il tâche de les exciter encore et de les rappeler à la vertu par ses conseils. Il me semble aussi qu’il veut parler ici des Juifs qui portaient de ces mauvais fruits. C’est pour quoi il se sert à dessein des mêmes expressions dont saint Jean se sert, et il leur représente comme lui les supplices de l’autre vie sous les mêmes images, ou d’un arbre qui est coupé, ou d’un feu qui ne sera jamais éteint »
8. Il semble, mes frères, que ce supplice dont Jésus-Christ nous menace se termine tout à ce seul mal d’être brûlé éternellement. Mais si on le considère avec plus de soin, on en trouvera un autre qui surpasse encore celui-là, puisque celui qui est dans l’enfer est privé du royaume de Dieu, et que cette privation est un plus grand mal que le supplice des flammes. Je sais que la plupart ne craignent que l’enfer et sont insensibles à la perte du paradis ; mais pour moi je crois que cette perte est un mal encore plus horrible que n’est le feu éternel. Je confesse que cela ne peut s’exprimer par les paroles. Nous ne pouvons comprendre combien grand est le bonheur de jouir de Dieu, pour concevoir ensuite quel est le malheur de ceux qui en sont privés. Saint Paul qui, dans son ravissement, avait goûté ces biens ineffables, savait aussi que le plus effroyable de tous les malheurs était de les perdre. Pour nous autres, nous ne le connaîtrons que lorsque nous l’éprouverons. Mais, ô mon Sauveur Jésus-Christ, Fils unique de votre Père, ne nous laissez point tomber dans ce malheur ni dans la funeste expérience d’un supplice si redoutable.
Il est donc impossible d’exprimer clairement quelle peine c’est que de perdre ce bonheur souverain. Je tâcherai néanmoins de vous le faire comprendre par quelques comparaisons qui vous en donneront quelque idée. Mais que pourrai-je dire qui en-approche ? Représentez-vous un jeune homme parfaitement accompli qui possède l’empire de toute la terre, qui soit si saint et si juste, et dont la vertu ait tant de charme, qu’il se fasse aimer de tous les hommes autant que les enfants le sont de leurs pères. Que ne souffrirait point le père d’un tel fils plutôt que d’être privé de sa compagnie ? Quel mal n’embrasserait-il pas de bon cœur pour avoir le bien de le voir et de jouir de sa présence ?