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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/232

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l’exemple d’un autre, mais qu’il fut le premier auteur de l’homicide, et le chef de tous les meurtriers futurs ; de même le péché de David n’est pas simplement un meurtre, c’est un meurtre commis par un grand prophète, non pour venger une injure, mais venant s’ajouter à l’injure la plus sanglante que l’on puisse faire à un homme, puisque David avait auparavant déshonoré la femme de celui qu’il tua.
Vous voyez que je n’épargne point David, et que je ne diminue point son péché. Cependant j’entreprends si hardiment sa défense, après même avoir exagéré son crime de cette manière, que je souhaiterais que tous les manichéens qui rejettent ces histoires de l’Ancien Testament, et tous les marcionites fussent ici présents, pour leur fermer la bouche et pour les confondre. Mais David, disent-ils, a commis un homicide et un adultère. Et moi je réponds qu’il n’a pas seulement commis un homicide, mais un double homicide, si l’on considère que celui qui tue est un prophète, et que celui qui est tué est un innocent qui est puni pour l’injure même qu’il a soufferte. Car il y a bien de la différence entre un homme, qui après avoir reçu le Saint-Esprit, après avoir été comblé de grâces, après avoir été uni avec Dieu par une amitié et une familiarité toute sainte jusqu’à un âge déjà avancé, tombe dans un grand crime, et celui qui pèche sans avoir joui d’aucun de ces avantages. Mais c’est là précisément ce qui doit augmenter notre admiration pour le courage de cet homme, qu’après être tombé de si haut et si bas, il ne s’est pas abattu, il n’a point désespéré, il n’est point resté par terre comme blessé à mort par le démon ; mais qu’il s’est relevé bientôt et même aussitôt, et qu’il a porté à son ennemi, d’une main vigoureuse, un coup plus mortel que celui qu’il en avait reçu.
7. Pour voir une image de ce que je vous dis, transportez-vous sur un champ de bataille, et supposez qu’un de nos plus braves guerriers reçoive de la main d’un barbare un premier coup de lance ou de javelot qui lui perce le cœur ou le foie, puis une seconde blessure encore plus mortelle qui le fasse tomber baigné dans son sang ; supposez qu’ainsi blessé, il se relève néanmoins aussitôt, et que d’un coup de sa lance il fasse mordre la poussière à son ennemi. C’est la même chose ici ; plus vous exagérez la blessure et la chute de David, plus vous donnez lieu d’admirer le courage qu’il fallut à ce fier combattant pour se relever, s’élancer au front de la phalange et terrasser celui qui l’avait blessé. Ceux qui sont tombés dans de grands crimes comprendront aisément combien il est difficile de se relever de la sorte.
Il n’est pas besoin, ce me semble, d’un si grand courage pour continuer notre course lorsque nous marchons avec succès dans la bonne voie, puisqu’alors la confiance en Dieu nous accompagne, nous anime, nous soutient, et nous donne toujours de nouvelles forces. Mais de voir un homme qui après avoir vaincu autant de fois qu’il a combattu, est renversé tout à coup par son ennemi, et se relève néanmoins aussitôt et recommence sa course avec plus de vigueur qu’auparavant, c’est ce qu’on ne peut assez admirer.
Pour vous expliquer ceci plus clairement je me servirai d’une comparaison encore plus sensible. Représentez-vous un pilote qui a traversé toutes les mers sans y faire naufrage ; et qui après s’être tiré par son adresse de tous les périls, des flots, des tempêtes et des écueils, fait enfin naufrage au port, d’où il a peine à se sauver tout nu ; dans quelle disposition croyez-vous que cet homme puisse être à l’avenir à l’égard de la navigation ? Croyez-vous qu’à moins d’avoir un courage tout extraordinaire, il voulût seulement voir un vaisseau, ou regarder le bord de la mer ? Je ne doute point qu’après cela il ne penserait plus qu’à mener une vie cachée, qu’il perdrait toutes les espérances qu’il aurait conçues, et qu’il aimerait mieux mendier pour vivre que de s’exposer encore aux mêmes périls. Ce qui relève donc le courage de David, c’est qu’il a fait avec tant de générosité ce que ce pilote ne pourrait faire. Après ce naufrage horrible qui lui fit perdre en un moment ce qu’il avait acquis durant tant d’années, après tant de travaux employés inutilement, il ne tombe point dans le désespoir, et ne se condamne point à d’éternelles ténèbres. Il ramasse les débris de son naufrage ; il radoube son vaisseau ; il en réunit les ais séparés ; il en rejoint les voiles déchirées, il reprend le gouvernail en main ; et se remettant en mer, il amasse plus de richesses qu’il n’en avait acquis auparavant.
Si l’on admire celui qui peut se tenir ternie sans tomber, quelle louange mérite celui qui tombe, mais qui loin de s’abattre, se relève si promptement ? Cependant combien de considérations