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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/233

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devaient jeter David dans le désespoir ! Premièrement la grandeur de son crime. En second lieu l’âge où il était, puisqu’il n’était plus dans la jeunesse dont la vigueur nourrit aisément notre espérance, mais dans la vieillesse. Aussi le marchand qui fait naufrage presque en s’embarquant ne s’en afflige pas tant que celui qui revenant d’une longue et heureuse navigation perd tout le fruit de sa peine en se brisant contre un écueil. En troisième lieu, l’immensité des richesses perdues dans le désastre ; en effet, quelle fortune spirituelle n’avait-il pas amassée depuis son enfance, depuis le temps qu’il était berger, par son combat contre Goliath ; par son extrême douceur envers Saül, témoignant à son égard une générosité tout évangélique, lui pardonnant toutes les fois qu’il tombait entre ses mains, et aimant mieux perdre son pays, sa liberté et sa vie même, que de tuer un ennemi si injuste, qui cherchait sans cesse des moyens de le perdre ; enfin par les actions de vertu qu’il fit encore après qu’il eut ceint le diadème royal !
8. Mais dans quelle peine et quelle agitation croyez-vous qu’il ait été, en considérant les pensées que les hommes auraient de lui, et qu’il avait perdu en un moment toute cette haute estime qu’il s’était acquise dans leur esprit ? Car l’éclat de sa pourpre le parait moins qu’il n’était déshonoré par la laideur de son crime. Vous n’ignorez pas de quelle force d’esprit nous avons besoin pour n’être point troublé, lorsque nous voyons nos crimes partout divulgués, et tout le monde instruit de nos plus honteux désordres. Il faut avoir une âme héroïque pour ne se point décourager en ces occurrences. David bannit toutes ces pensées de son esprit. Il arracha de sa plaie le fer qui l’avait blessé, il la lava de tant de larmes, et devint si pur aux yeux de Dieu, qu’il a pu même après sa mort secourir ceux qui étaient descendus de lui, dans les péchés qu’ils avaient commis. C’est ce que Dieu dans l’Écriture a dit d’Abraham. Mais il l’a dit aussi de David, et quelquefois même avec encore plus d’avantage. Il dit en parlant d’Abraham, qu’il s’est souvenu de l’alliance qu’il avait faite avec lui ; mais eu parlant de David, il ne marque point d’alliance. Il dit : « Je protégerai cette ville à cause de David mon serviteur. » (IV R. 19,34) Et Salomon son fils ayant commis des crimes détestables, Dieu, en considération de David son père, ne voulut point le priver de son royaume. Sa réputation a toujours été si grande parmi les Juifs que saint Pierre, longtemps après sa mort, dit au peuple : « Permettez-moi, mes frères, de vous dire librement que le patriarche David est mort et qu’il a été enseveli. » (Act. 2,26) Jésus-Christ même parlant aux Juifs témoigne que ce saint roi reçut une si grande effusion du Saint-Esprit, même après son péché, qu’il mérita de nouveau de prophétiser touchant la divinité du Christ. Car se servant de ses psaumes pour fermer la bouche aux Juifs, il leur dit : « Comment donc David l’appelle-t-il en esprit son Seigneur par ces paroles : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : « Asseyez-vous à ma droite ? » (Mt. 22,42 ; Ps. 109,1)
Dieu même témoigna autant de zèle pour les intérêts de ce saint prophète, qu’autrefois pour ceux de Moïse. Comme il vengea Moïse quoique malgré lui de l’injure que Marie sa sœur lui avait faite, parce qu’il aimait tendrement Moïse ; il vengea de même David quoique malgré lui, de la révolte si cruelle et si dénaturée de son propre fils. Il n’y a rien qui prouve davantage la vertu d’un homme que ce zèle que Dieu témoigne pour le protéger. Car lorsque Dieu parle, et qu’il prononce lui-même sur les choses dont nous doutons, il faut que l’homme et la raison humaine se taisent.
Que si vous voulez connaître plus particulièrement la vertu de ce saint roi, voyez dans son histoire comment il se conduisait envers Dieu après son péché, avec quelle liberté il lui parlait, de quel amour il brûlait pour lui, quel progrès il faisait de jour en jour dans la vertu, enfin dans quelle circonspection et quelle vigilance il vécut jusqu’au dernier moment de sa vie.
Encouragés par ces grands exemples que Dieu nous propose, tâchons, mes frères, de ne nous point laisser tomber ; ou si ce malheur nous arrive, de ne pas demeurer longtemps dans notre chute. Ce n’est point pour vous rendre plus négligents et plus lâches que je vous parle ainsi de David, mais pour vous imprimer plus de crainte. Car si cet homme si saint, si juste, si parfait s’est vu par un petit défaut de vigilance, frappé tout d’un coup d’une plaie mortelle, et dans un si grand danger de se perdre, que deviendrons-nous