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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/268

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Si celui que vous pleurez est mort dans le péché, la mort en arrête le cours ; et si Dieu eût prévu qu’il en eût dû faire pénitence, il ne l’eût pas sitôt retiré du monde. Que s’il est mort dans la grâce et dans l’innocence, son innocence n’est plus en danger, et il en possède une récompense qui ne finira jamais.
Il paraît donc, par tout ce que nous avons dit, que vos larmes sont plutôt l’effet d’un trouble d’esprit et d’une passion peu raisonnable, que d’un amour sage et bien réglé. Que si vous aimiez véritablement celui qui est mort, vous devriez vous réjouir clé ce qu’il a été délivré bientôt d’une navigation dangereuse. Car il y a quelque chose de stable dans le cours ordinaire de la nature. Le jour succède à la nuit et la nuit au jour. L’été vient après l’hiver et l’hiver après l’été. Ainsi les saisons s’entre-suivent et elles sont toujours liées de même es unes aux autres. Mais les maux au contraire viennent en foule et à contre temps, sans ordre et sans mesure, et notre vie est sujette à des accidents toujours nouveaux.
Voudriez-vous donc que votre fils fût encore assujetti à ces misères, qu’à chaque jour il fût exposé à une nouvelle peine, qu’il fût tantôt dans la maladie, tantôt dans la tristesse, et toujours dans la souffrance d’un mal et dans l’appréhension d’un autre ? Car vous ne pouvez pas dire qu’il eût pu passer le cours de cette vie sans éprouver toutes ces inquiétudes et tous ces soins.
Mais vous, ô mère, qui pleurez votre fils, considérez que celui que vous aviez mis au monde n’était pas immortel, et que s’il n’était mort maintenant, il devait mourir bientôt après. Que si vous dites que vous n’avez pas eu le temps de jouir de lui, vous le ferez pleinement dans le ciel. Mais vous le voudriez voir maintenant ? Et moi je vous dis que si vous êtes sage de la sagesse de Dieu, il lie tiendra qu’à vous de le voir. Car l’espérance des chrétiens est beaucoup plus claire et plus assurée que vos propres yeux.
Si l’on voulait tirer votre fils d’auprès de vous pour le faire roi d’un grand royaume, refuseriez-vous de le laisser aller pour ne pas perdre le vain plaisir de le voir ? Et maintenant qu’il est passé en un royaume infiniment plus grand et plus heureux que tous ceux de la terre ensemble, vous ne pouvez souffrir d’être un moment séparée de lui, lors particulièrement qu’au lieu d’un fils vous avez un mari qui vous console. Que si vous n’en avez plus, vous avez toujours pour consolateur « le père des orphelins et le juge des veuves. » Voyez de quelle manière saint Paul relève ces sortes de veuves : « Celle », dit-il, « qui est véritablement veuve et désolée, met son espérance en Dieu. » (1Tim. 5,5) Ce sont là les plus excellentes veuves, puisque ce sont les plus patientes.
Ne pleurez donc plus, et ne vous affligez point d’une chose pour laquelle vous espérez une si grande récompense. Vous n’avez fait que rendre un dépôt que l’on vous avait confié. C’est pourquoi n’en soyez plus en peine, puisque Dieu l’a repris et l’a mis dans son trésor éternel. Que si vous comprenez bien la différence qu’il y a entre la vie de la terre et celle du ciel, si vous voyez à fond l’inconstance et le néant de celle-ci et la grandeur et la solidité de l’autre, vous n’aurez pas besoin que je vous dise rien davantage. C’est de cette agitation et de ce trouble que votre fils maintenant est délivré. S’il était demeuré sur la terre, vous ne savez s’il eût été bon ou méchant. Ne voyez-vous pas tous les jours combien de pères sont contraints de chasser leurs fils d’auprès d’eux et de les déshériter ; et combien d’autres les retiennent malgré eux, quoiqu’ils soient pires que ceux que l’on chasse ? Pensons donc à toutes ces choses et servons-nous-en pour régler nos mœurs. Car c’est ainsi que notre patience sera approuvée des morts mêmes que nous pleurons, qu’elle sera estimée des hommes et couronnée par la miséricorde de Dieu, qui nous fera jouir des biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et la puissance, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.