Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/286

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furieuse, et que tout est capable de nous frapper de terreur, il nous assiste alors de sa force, pour nous rendre fermes de cœur et, d’esprit, et pour nous faire répondre avec hardiesse, sans blesser en rien ni la vérité ni la justice. Car représentez-vous, je vous prie, un homme qui ne s’est occupé toute sa vie que de pêche, ou de cuirs, que de banque, et qui paraît tout d’un coup devant des rois assis dans leurs trônes, environnés de grands officiers, de gardes et d’épées nues et d’une foule innombrable de peuple, et qui entre seul devant tout ce monde, ayant les mains liées et les yeux baissés vers la terre ; croyez-vous qu’un homme en cet état aurait eu seulement la hardiesse d’ouvrir la bouche, et de dire une parole ?
On ne pouvait même souffrir qu’ils parlassent pour se justifier, et pour défendre la vérité de leur doctrine, mais on les regardait comme des corrupteurs et des perturbateurs de toute la terre, qu’il fallait exterminer et condamner aux plus effroyables supplices : « Voilà », disaient-ils, « ces gens qui troublent toute la terre (Act. 16) », ces séditieux « qui osent parler contre les édits de César, en appelant Jésus-Christ roi. » (Id. 17) Ainsi les juges étaient prévenus contre eux par ces fausses impressions, et il était besoin d’avoir une force et une lumière toute divine, pour persuader ces deux choses : l’une que la doctrine qu’ils prêchaient était vraie ; et l’autre qu’elle n’était point contraire aux lois civiles et aux intérêts de l’État. Car si, d’une part, ils soutenaient la vérité qu’ils prêchaient, ou les accusait de renverser les lois de l’État ; et si de l’autre, ils se mettaient en peine de prouver qu’ils n’étaient point contraires au bien des États, ils étaient en danger d’affaiblir en quelque chose la vérité et la sainteté de l’Évangile.
Cependant nous savons avec quelle sagesse saint Pierre et saint Paul, et tous les autres apôtres se sont conduits dans de semblables rencontres. On les accusait partout comme des factieux, comme des gens qui voulaient introduire des nouveautés par des intrigues et par des cabales, et néanmoins non seulement ils se sont purgés de toutes ces fausses accusations, mais ils ont même donné des impressions toutes différentes de leur conduite, et tout le monde a reconnu qu’ils étaient les sauveurs de la terre, les bienfaiteurs et les pères communs de tous les hommes. Et ils se sont acquis cette réputation par leurs longs travaux, et par une extrême patience. C’est pourquoi saint Paul disait de lui-même qu’il mourait chaque jour : « Je meurs tous les jours », dit-il, et ainsi sa vie n’a été qu’une souffrance et une mort continuelle.
Après cela, mes frères, comment pouvons-nous nous excuser d’avoir de si grands exemples et de vivre dans une mollesse criminelle, lorsqu’il nous serait si aisé de servir Dieu dans la paix de son Église ? Nous nous laissons tuer sans que personne nous fasse la guerre. Nous mourons sans qu’aucun ennemi nous persécute. Dieu nous commande de nous sauver, nous sommes en pleine paix, et nous ne le pouvons faire. Les apôtres voyant toute la terre en feu, se jetaient au milieu des flammes, et en retiraient tous ceux qui brûlaient. Nous sommes, nous autres, dans le plus grand calme du monde, et nous ne pouvons nous sauver nous-mêmes. Après cela quelle excuse nous restera-t-il ?
Nous ne sommes plus menacés ni de prisons ni de chaînes. On ne parle plus ni de fouets ni de tortures.. Les princes et les synagogues ne fulminent plus, d’arrêts contre nous. Tout est changé maintenant. Nous dominons et nous régnons, puisque nous avons des princes fidèles et religieux. Le nom chrétien est en vénération et en honneur, et ceux qui en font profession sont dans les magistratures et dans lés premières charges ; et cependant nous nous laissons vaincre au milieu de cette paix. Les apôtres et leurs disciples, alors battus de verges et tourmentés de mille manières, faisaient leurs délices de leurs tourments ; et nous qui ne souffrons pas aujourd’hui le, moindre mal, nous sommes plus mous que de la cire.
Mais, me direz-vous, les apôtres faisaient des miracles ? Mais leurs miracles les empêchaient-ils de souffrir les fouets, les prisons et les bannissements ? Et ce qu’il y a d’étrange, c’est précisément qu’ils étaient si cruellement traités par ceux qui recevaient leurs bienfaits, et qu’ils ne se troublaient point de cette ingratitude et qu’ils recevaient sans s’étonner de si grands maux au lieu des grands biens qu’ils avaient faits. Vous au contraire, si vous avez rendu à quelqu’un le moindre service, et qu’ensuite il vous désoblige en quelque chose, vous entrez dans le trouble, vous avez l’esprit aigri et agité, et vous vous repentez du bien que vous lui avez fait.