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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/288

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sais avec quelle négligence vous lisez l’Écriture, et ainsi je ne m’étonne pas que vous y remarquiez si peu de chose. Mais ceux qui pèsent la parole de Dieu comme l’or et qui savent le prix de ces perles spirituelles, y trouvent bien dans cette histoire d’autres sujets de douleur pour ce saint homme.
Ils considèrent premièrement qu’il n’avait pas encore une connaissance bien claire du royaume du ciel et de la résurrection des hommes. C’est ce qui lui faisait dire : « Je n’ai point à vivre éternellement, pour ne me lasser point dans ma patience. » (Id. 7) Secondement, qu’il se voyait accablé de maux, après le grand nombre d’actions saintes qu’il avait faites. Troisièmement, qu’il ne se sentait coupable d’aucun crime. En quatrième lieu, qu’il croyait que Dieu était l’auteur des maux qu’il souffrait, et que quand même il les eût attribués au démon, c’en était encore assez pour le troubler. Cinquièmement, qu’il voyait que ses amis étaient devenus ses accusateurs et qu’ils lui disaient : « Vous n’avez pas encore souffert autant que vous le méritez. » Sixièmement, qu’il considérait que des hommes plongés dans le vice étaient comblés de biens, et qu’ils lui insultaient dans son malheur. Septièmement, qu’il n’y avait eu encore personne avant lui qui eût souffert de la sorte et dont l’exemple le pût consoler.
7. Pour comprendre combien toutes ces circonstances aggravaient son mal, il n’en faut juger que parce que nous voyons aujourd’hui. Car encore que nous croyions maintenant avec tant d’assurance au royaume des cieux et à la résurrection de la chair ; que nous nous sentions coupables de tant de péchés ; que nous ayons tant de grands exemples et tant de modèles excellents de toutes sortes de vertus ; cependant s’il nous arrive de perdre quelque argent que peut-être nous avions volé, ce seul mal, sans être accompagné ni des reproches d’une femme, ni de la mort d’un enfant, ni des accusations d’un ennemi, ni des insultes d’un domestique, lorsqu’au contraire beaucoup de choses pourraient et devraient l’adoucir, ne laisse pas de nous être insupportable et de nous rendre la vie odieuse. Quelles louanges donc mérite Job. qui, après avoir perdu en un moment ce qu’il avait amassé par un juste travail durant tant d’années, voit comme pleuvoir sur lui les malheurs de toutes parts sans que sa constance soit ébranlée, et sans cesser jamais de rendre à son Créateur les actions de grâces qui lui sont dues ?
Car, pour ne point parler de tout le reste, les seules paroles de sa femme n’auraient-elles pas été capables d’ébranler les pierres les plus dures ? Considérez, je vous prie, avec quelle adresse elle tâche de le surprendre. Elle ne se plaint point de la perte de ses biens. Elle ne lui parle point de ses chameaux, de ses brebis et de tout le reste, parce qu’elle savait combien son mari méprisait toutes ces choses. Elle s’arrête à la mort de ses enfants, qui pouvait le plus le toucher. Elle la déplore avec des plaintes excessives ; elle l’exagère autant qu’elle peut. Que si l’on a vu souvent des personnes qui, dans un état très-heureux, n’ont pas laissé de faire de grandes fautes par la persuasion de leurs femmes ; quel courage devait avoir cette âme héroïque, pour repousser sa femme qui venait l’attaquer avec tant d’avantage et pour étouffer en même temps deux passions si fortes, l’amour et la compassion ? il est arrivé souvent que ceux qui avaient résisté à la première de ces passions ont succombé à la seconde. Le patriarche Joseph foula aux pieds l’amour impudique, en repoussant l’Égyptienne avec tous les attraits et tous les artifices dont elle usa ; mais il ne put résister à la compassion ni retenir ses larmes, lorsqu’il vit ses frères qui l’avaient vendu autrefois ; et ne pouvant plus souffrir le déguisement et la feinte, il se fit reconnaître pour ce qu’il était. Lors donc que ce n’est pas un frère qui parle à son frère, mais une femme qui parle à son mari et qui lui dit des choses touchantes, qu’elle est d’ailleurs secondée par la conjoncture du temps, par les plaies, par la douleur et par mille maux de celui à qui elle parle, il est certain qu’à moins d’avoir un cœur plus ferme que le diamant on ne peut pas résister à cette tempête.
Permettez-moi, mes frères, de vous déclarer avec liberté ce que je pense de ce saint homme. Je ne dis pas que Job a été plus grand que les apôtres. Mais j’ose dire qu’il leur a été égal. Les apôtres avaient une très-grande consolation que Job n’avait pas. Ils savaient qu’ils souffraient pour Jésus-Christ, ce qui était un si grand soulagement dans leurs maux que Jésus-Christ ne manque jamais de marquer cette circonstance en leur disant : « Vous souffrirez