Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de lui donner en secret, vous le confondez devant tout le monde, et vous lui insultez pour les raisons mêmes qui devraient vous porter à le secourir.
Si vous ne lui voulez rien donner, pourquoi le tourmentez-vous, et pourquoi ajoutez-vous cette nouvelle affliction à tant d’autres qui l’accablent ? Il vient à vous comme un homme qui a fait naufrage, il vous tend es mains. Et au lieu de lui servir de port et d’asile, vous le rejetez dans la mer et dans la tempête. Pourquoi lui reprochez-vous l’état où il est ? Croyez-vous qu’il se fût jamais adressé à vous, s’il en eût attendu ce traitement ? Et si connaissant votre dureté il n’a pas laissé de venir à vous, n’est-ce pas ce qui le rend plus digne de compassion, et qui vous devrait faire rougir de votre cruauté, puisqu’une si épouvantable misère ne peut amollir la dureté de votre cœur ?
Ne croyez-vous pas que cette violence de la faim qui le presse est une excuse assez légitime de l’importunité qu’il vous donne ? Vous l’accusez d’être un impudent, vous qui l’êtes si souvent dans des choses qui devraient vous couvrir de honte ? La misère du pauvre excuse son peu de pudeur ; mais qui peut nous excuser, nous autres, lorsque nous faisons volontairement et sans rougir des actions honteuses et criminelles ? Et après cela, au lieu de nous confondre de nos excès, nous insultons aux misérables, et au lieu de guérir leurs maux, nous leur faisons de nouvelles plaies.
Si vous ne voulez rien donner, à ce pauvre, pourquoi le frappez-vous ? Si vous ne voulez point le secourir, pourquoi l’outragez-vous ? Vous me direz qu’il ne s’en va point si on ne le traite de la sorte. Mais suivez-vous en cela l’avis que le Sage nous a donné quand il nous a dit : « Répondez au pauvre paisiblement et avec douceur ? » Ce n’est que malgré lui qu’il est importun, et qu’il a si peu de honte. Il n’y a point d’homme qui veuille être impudent s’il n’y est contraint ; et l’on ne me fera jamais croire que celui qui pourrait ne pas mendier puisse se résoudre à le faire.
Ainsi, mes frères, que personne ne vous trompe par de faux raisonnements. Que si saint Paul dit : « Que celui qui ne veut point travailler ne doit point manger (2Thes. 3,1) », c’est pour les pauvres qu’il le dit mais pour nous il nous dit le contraire : « Ne cessez point », nous dit-il, « de faire du bien. »
Nous agissons ainsi tous les jours dans nos maisons. Quand deux personnes disputent l’une contre l’autre, nous les prenons séparément, et nous les mettons chacune dans son tort.
Moïse a autrefois gardé cette conduite. Car il dit à Dieu, lorsqu’il lui parle en particulier : « Seigneur, si vous pardonnez ce péché à ce peuple, pardonnez-le ; sinon effacez-moi, et « faites-moi périr avec eux (Ex. 32) ; » et parlant ensuite aux Hébreux, il commande de tuer ceux qui étaient tombés dans l’idolâtrie, et de ne pas même épargner leurs plus proches parents. Ces deux choses, semblaient se contredire en apparence, mais elles s’accordaient en effet et n’avaient qu’un même but. Dieu s’est servi aussi de cette même conduite. Il dit à Moïse pour intimider les Juifs : « Laissez-moi faire et je perdrai ce peuple. » (Id. 32) Car quoique les Juifs ne fussent point présents, lorsque Dieu parlait de la sorte, Moïse néanmoins leur devait rapporter cette parole. Mais lorsque Dieu s’entretient en particulier avec Moïse, il lui parle d’une manière tout opposée, et il l’exhorte à supporter son peuple. C’est pourquoi ce même prophète s’écrie ailleurs : « Seigneur, les ai-je conçus dans, mes entrailles, vous qui me dites : Portez-les dans votre sein, comme une nourrice porte le nourrisson qu’elle allaite ? » (Nb. 11,12) C’est encore ce qui arrive tous les jours dans vos familles. Souvent un père voyant le précepteur de son fils le traiter durement, l’avertit en secret, et le prie de n’être pas si sévère, et il exhorte au contraire son fils en particulier à souffrir ce traitement de son maître, quand même il serait injuste, et ainsi il établit l’union entre eux, en leur parlant d’une manière qui semble opposée. Saint Paul fait ici la même chose : il dit à ceux qui sont forts et qui mendiant pour vivre : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange « point », parce qu’il voulait les encourager au travail. Mais il dit à ceux qui les peuvent secourir : « Pour vous ne vous lassez point de faire du bien », afin de les exciter aux œuvres de miséricorde. Ce même apôtre écrivant aux Romains use encore de la même prudence dans cette comparaison qu’il apporte de l’olivier franc et de l’olivier sauvage. Car lorsqu’il parle aux Juifs, il leur apprend à ne point s’élever au-dessus des gentils ; et lorsqu’il parle aux gentils, il leur apprend à avoir du respect pour le peuple juif.
Ayons donc de la charité, mes frères, et ne soyons pas durs et inhumains. Écoutons saint Paul qui nous dit : « Pour vous ne vous lassez point de faire le bien. » Écoutons Jésus-Christ même qui nous dit : « Donnez à tous ceux qui vous demandent. » Et ailleurs : « Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux. » (Mt. 5,42 ; Lc. 6,36) Quoiqu’il ait donné beaucoup d’autres avis dans ce sermon sur la montagne, il ne nous exhorte néanmoins à imiter Dieu que dans ce qui regarde la charité et la miséricorde. Car il n’y a rien qui nous rende plus semblables à Dieu que de faire du bien à tout le monde.
Mais, direz-vous, rien n’est plus insupportable qu’un pauvre. Mais qu’est-ce qui le rend si insupportable ? Il va de tous côtés, dites-vous, et il crie après tout le monde. Voulez-vous que je vous montré combien nous sommes plus impudents et plus insupportables que ce pauvre ? Combien de fois vous est-il arrivé qu’en un jour de jeûne, lorsque l’heure du soir était venue, et que le couvert était mis, voyant que vos gens tardaient un peu à servir, vous les avez outragés en paroles, et même battus ? Combien de fois, dis-je, vous Êtes-vous mis en colère, quoique vous sussiez que dans un moment vous alliez apaiser cette faim qui vous rendait de si mauvaise humeur ? Cependant vous ne vous appelez point insolent et insupportable, vous qui, dans ces occasions, êtes plus semblable à une bête farouche qu’à un homme. Et lorsqu’un pauvre est en danger non de manger un peu plus tard, mais de ne point manger du tout, vous le chargez d’injures, et vous croyez, que son importunité est insupportable. Après cela avez-vous de la honte, vous qui reprochez aux autres de n’en avoir point ? Mais nous ne faisons jamais réflexion sur nous-mêmes. Nous accusons les pauvres, et nous les condamnons comme impudents et fâcheux, quoiqu’en nous comparant avec eux, nous soyons en ce point plus coupables qu’ils ne le sont. Ne soyez