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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/327

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se dispense de l’observer que lorsqu’il en avait un légitime sujet, afin de faire cesser la loi sans scandaliser personne.
Il y a néanmoins eu des occasions où il a témoigné vouloir à dessein ne la pas garder, comme lorsqu’il fit de la boue pour en frotter les yeux de l’aveugle-né, et lorsqu’il dit « Mon Père depuis le commencement du monde agit, et moi j’agis aussi avec lui. » (Jn. 5,8) Jésus-Christ se conduisait avec cette modération ou pour glorifier son Père ou pour épargner la faiblesse de ce peuple. C’est ce qu’il fait dans notre évangile, lorsqu’il s’excuse de la violation du sabbat, par la nécessité où se trouvaient ses disciples. Or, ce qui est évidemment péché ne s’excuse par aucune raison. Un homicide ne peut point s’excuser sur sa colère, ni un adultère sur sa passion. Mais comme il ne s’agissait point ici d’une chose essentiellement mauvaise, la nécessité où les apôtres étaient réduits pouvait suffire pour les exempter de faute.
Mais admirons ici, je vous prie, le détachement des apôtres : comme ils n’avaient aucun soin du corps ; comme les moindres choses leur suffisaient pour les nourrir, et comme dans les besoins même les plus pressants, ils ne pensaient point à s’éloigner tant soit peu de la compagnie de Jésus-Christ ! Car s’ils n’eussent souffert une grande faim, ils n’auraient jamais voulu violer le sabbat. « Ce que voyant les pharisiens, ils lui dirent : Voilà vos disciples qui font ce qui n’est point permis de faire au jour du sabbat (2). » Les pharisiens ne paraissent pas ici aussi aigres qu’à l’ordinaire, quoique le sujet semble le comporter. Ils se contentent de dire assez simplement le mal qu’ils reprennent dans les disciples ; au lieu que lorsque Jésus-Christ rétablit miraculeusement la main desséchée, on les vit s’emporter d’une si furieuse colère, qu’ils délibérèrent de le tuer. D’où vient cette différence ? C’est que lorsqu’ils ne voient rien d’éclatant dans les actions de Jésus-Christ, ils sont un peu plus paisibles ; mais lorsqu’ils voient des guérisons miraculeuses, ils deviennent cruels et furieux. Tant ils étaient ennemis du salut des hommes ! Mais remarquez comment Jésus-Christ excuse ses disciples. « N’avez-vous pas lu ce que fit David lorsque lui et ceux qui l’accompagnaient furent pressés de la faim (3) ? Comme il entra dans la maison de Dieu, et mangea les pains qui y étaient exposés, qu’il n’était permis de manger qu’aux seuls prêtres, et non point à lui ni à ceux qui étaient avec lui (4). » Quand Jésus-Christ défend ses apôtres, il allègue David ou quelque prophète ; mais quand il se défend lui-même, il allègue son Père céleste. Il leur parle avec force : « N’avez-vous point lu », leur dit-il, « ce que fit David ? » La gloire et la réputation de ce saint roi était si grande que saint Pierre, après la résurrection de Jésus-Christ, parlant de lui devant les Juifs, se croit obligé d’user de ces termes : « Permettez-moi, mes frères, de vous dire avec liberté, touchant le patriarche David, qu’il est mort, et qu’il a été mis dans le sépulcre. » (Act. 2,29)
Mais pourquoi Jésus-Christ, lorsqu’il parle de ce saint prophète, soit ici, soit plus tard, ne lui donne-t-il jamais de louanges ? C’était peut-être parce qu’il descendait de lui. Si les pharisiens eussent été plus doux et plus compatissants, Jésus-Christ se fût contenté d’excuser ses apôtres par la faim qu’ils enduraient ; mais parce qu’ils étaient durs et inhumains, il leur rapporte cet exemple.
Saint Marc dit que le fait concernant David se passa sous le grand-prêtre Abiathar ; en cela il ne contredit pas l’auteur du premier livre des Rois, mais montre seulement que ce prêtre avait deux différents noms. Il marque même que ce fut ce prêtre qui donna ces pains, pour mieux défendre ses disciples, en rappelant qu’un prêtre avait non seulement permis une pareille action, mais y avait même contribué.
Et il serait inutile de dire que David était prophète, puisque les prophètes mêmes n’avaient point ce droit qui était uniquement réservé aux prêtres, ainsi que le dit expressément Jésus-Christ : « Il n’était permis de les manger qu’aux seuls prêtres. » Quand il eut été mille fois prophète, il n’était point prêtre. Et s’il était prophète, ceux qui l’accompagnaient ne l’étaient pas, et ils mangèrent néanmoins de ces pains que le grand prêtre leur donna.
Mais quoi ! me direz-vous, les apôtres étaient-ils égaux à David ? Que me parlez-vous de dignité quand il est question d’une violation au moins apparente de la loi, et d’une pressante nécessité naturelle ? Si la nécessité a excusé David, elle doit à plus forte raison excuser les apôtres. Et plus David aura été