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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/346

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en leur parlant à eux-mêmes et se serrant du mot de « vous », pour instruire tout le monde en général, et pour rendre ce qu’il dit moins odieux.
« Aussi je vous déclare que les hommes rendront compte au jour du jugement de la moindre parole inutile qu’ils auront dite (36). » Une parole inutile est une parole qui n’a point de rapport avec les choses dont on parle, ou qui tient du mensonge et de la médisance. Quelques-uns disent aussi qu’une parole inutile est une parole vaine, comme celles qui font rire, qui ne sont pas assez réglées, qui sont trop libres, et qui blessent l’honnêteté et la pudeur.
« Car vous serez justifié par vos paroles et vous serez condamné par vos paroles (37). » Peut-on accuser ce jugement d’une trop grande sévérité ; et ce compte que Dieu redemandera ne paraît-il pas être plein d’équité et de douceur ? Le juge ne prononcera point l’arrêt contre vous sur le simple rapport des autres, mais sur ce que vous aurez dit vous-même manière de juger de toutes la plus juste et la plus équitable, puisque vous êtes entièrement maître ou de dire ou de ne pas dire ce que vous voudrez.
Ce ne sont donc point, mes frères, ceux qui sont calomniés qui doivent trembler, mais bien les calomniateurs eux-mêmes. Car ceux qui auront été déchirés par les médisances ne seront pas contraints de justifier leur innocence, mais ceux qui les auront décriés seront obligés dé rendre compte de toutes leurs paroles injurieuses. C’est sur eux que tout le péril tombera ; c’est contre eux que le juge prononcera la sentence.
C’est pourquoi ceux qui sont calomniés doivent être dans une entière assurance, puisqu’ils ne seront point responsables des médisances des autres ; mais leurs calomniateurs doivent frémir d’horreur et d’effroi aux approches de ce juge qui leur fera rendre compte de leurs impostures. Ce crime est un crime diabolique. C’est un péché qui n’apporte aucune satisfaction à celui qui le commet et qui ne lui cause que du mal. C’est une passion qui amasse dans l’âme un trésor funeste de malice et de péchés. Que si celui qui a le corps plein de mauvaises humeurs, tombe malade nécessairement, combien plus celui qui se remplit de cette humeur noire et maligne, infiniment plus nuisible à l’âme que la bile ne l’est au corps, ne s’expose-t-il à une maladie plus dangereuse, dont les douleurs seront infinies et éternelles ?
On en peut juger par les effets. Car si la médisance afflige de telle sorte celui qu’elle attaque, combien doit-elle plus tourmenter celui qui l’a dit ? Le calomniateur se blesse toujours le premier avant que de blesser les autres. Celui qui marche sur les charbons ardents se brûle lui-même ; et celui qui frappe sur un diamant sent que le coup retombe sur lui : celui qui regimbe contre l’aiguillon se pique et se blesse lui-même. Car le chrétien qui sait supporter généreusement l’injustice et la calomnie, est en vérité comme un diamant, comme un feu, et comme un aiguillon perçant : au lieu qui celui qui médit de ses frères est plus faible et plus méprisable que la boue.
Ce n’est donc pas un mal que d’être calomnié par les autres : mais c’est un très grand que d’être assez méchant pour publier des calomnies, ou de n’être pas assez ferme pour les souffrir. Avec quelle injustice Saül persécuta-t-il autrefois David ? et combien David eut à souffrir de sa part ? et cependant lequel des deux a été le plus fort ou le plus heureux ? lequel des deux a été le plus misérable et le plus digne de compassion ? n’est-ce pas celui qui a fait l’injure et non celui qui l’a soufferte ? Considérez, je vous prie, la conduite de l’un et de l’autre. Saül avait promis à David que s’il tuait Goliath, il lui donnerait sa fille en mariage. Cependant David tue Goliath, et Saül manque à sa parole, et bien loin de le faire son gendre, il ne pense qu’à le tuer.
Lequel des deux s’est donc acquis le plus de gloire ? l’un est en proie à une tristesse profonde, il est possédé d’un démon ; l’autre par ses victoires et par sa piété envers Dieu devient plus éclatant que le soleil. Nous en voyons aussi que, à propos de cette danse fameuse des femmes israélites après la mort de Goliath, Saül sécha de dépit et d’envie contre David, et que David garda une modération et un silence qui lui attira le cœur et l’affection de tout le monde.
Quand ensuite David eut Saül entre ses mains, et qu’étant maître de sa vie, il lui pardonna ; lequel des deux fut le lus fort ou le plus faible, le plus heureux ou le plus malheureux ? n’est-il pas visible que c’est celui qui ne voulut point se venger d’un ennemi qui avait tant cherché à le perdre ? l’un était