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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/443

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vivront selon ses règles de la récompense qui leur est promise.
Il est vrai, mes frères, que Jésus-Christ promettait de rendre à chacun selon ses œuvres pour relever le courage des apôtres, et pour les consoler dans leur maux. Mais je vous avoue pour moi que je tremble en entendant ces paroles. Je reconnais que je ne suis point du nombre de ces saintes âmes qui attendent des couronnes. Je suis au contraire saisi de frayeur, quand je me regarde, et je crois qu’il y en a dans cette assemblée qui partagent avec moi mes appréhensions et mes craintes. Car qui de nous ne sera point frappé de ces paroles de Jésus-Christ, lorsqu’il rentrera sérieusement en lui-même ? Qui de nous ne frémira d’horreur, qui ne se couvrira de sac et de cendre, et qui ne jeûnera plus que n’ont fait autrefois les Ninivites ? Car il ne s’agit pas ici du renversement d’une ville ou d’une mort passagère, mais d’un supplice éternel, et d’un feu qui ne s’éteindra jamais.
5. c’est pourquoi j’admire ces bienheureux solitaires qui se sont retirés du milieu des villes pour aller vivre au fond des déserts. Je les estime heureux pour une infinité de raisons. Mais leur bonheur me touche encore davantage quand je sens mon cœur pénétré de crainte en pensant à ces paroles étonnantes. Tout le monde sait ce que ces hommes admirables disent tous les jours en sortant de table après le dîner ou plutôt après le souper ; car ils ne dînent jamais, et ils sont trop persuadés que cette vie est un temps de jeûne et de tristesse. Lors donc qu’ils tendent leurs actions de grâces, ils se représentent chaque jour cette parole par laquelle Jésus-Christ vient de finir ce discours. Trouvez bon, mes frères, que je rapporte ici cette prière tout entière ; afin qu’à l’imitation de ces saintes âmes, vous la puissiez avoir toujours dans la bouche et dans le cœur, « Soyez béni, ô mon Dieu », disent-ils, « vous qui me nourrissez dès mon enfance, qui donnez à toute chair la nourriture dont elle a besoin, et qui remplissez nos cœurs de consolation et de joie, afin qu’ayant chaque jour ce qui est nécessaire à la nature, nous soyons riches en toutes sortes de bonnes œuvres par Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui vous est due la gloire, l’honneur et l’empire avec le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Gloire à vous, ô Seigneur ; Gloire à vous, ô Saint ; Gloire à vous, ô R. qui nous avez donné de quoi nous nourrir. Remplissez-nous du Saint-Esprit, afin que nous puissions paraître agréables à vos yeux, et que nous ne soyons point couverts de confusion lorsque vous viendrez rendre à chacun selon ses œuvres ».
Il n’y a rien dans cette action de grâces qui ne soit admirable ; mais rien ne m’en paraît plus beau que les dernières paroles. Car, comme le temps du repas a coutume de dissiper l’âme et de la rendre pesante, ces bienheureux solitaires se servent alors de ces paroles comme d’un frein pour la retenir dans le devoir ils la forcent, dans ce temps de relâche, de se souvenir du jour redoutable du jugement. Ils n’ignorent pas dans quel malheur les délices de la table et la bonne chère jetèrent autrefois les Israélites : « Mon bien-aimé », dit l’Écriture, « a mangé et s’est engraissé, et il m’est devenu rebelle ».(Deut. 22,15) C’est pourquoi Moïse dit : « Quand vous aurez bu et mangé, et que vous serez rassasiés, souvenez-vous alors du Seigneur votre Dieu » (Deut. 6,11) ; parce que c’était alors que les Israélites avaient offensé Dieu par une honteuse idolâtrie. Prenez donc garde qu’il ne vous arrive alors un malheur semblable Vous ne sacrifiez point des brebis et d’autres animaux aux idoles de pierre et d’argent ; mais craignez de sacrifier votre propre âme à la colère, et de l’immoler à la fornication et aux autres passions semblables. C’est le malheur que craignent ces saints solitaires. Lorsqu’ils ont cessé de manger, ou, pour mieux dire, lorsqu’ils n’ont point cessé de jeûner, puisque leur repas même est un jeûne, ils rentrent dans le souvenir de ce jour terrible, et du jugement rigoureux de Jésus-Christ. Que si des personnages si saints, qui s’affligent sans cesse, qui passent leur vie dans le jeûne et dans les veilles ; et qui ne couchent que sur la terre, ont encore besoin de se représenter la mémoire de ce jour ; comment pouvons-nous espérer, nous autres, de vivre dans la modération chrétienne, nous qui sommes tous les jours à des tables où la tempérance est exposée à tant de périls, et qui n’adressons à Dieu nos prières, ni lorsque nous y entrons, ni lorsque nous en sortons ?
Pour prévenir ces malheurs à l’avenir, usons de la même prière que ces bienheureux solitaires, et expliquons-la en passant ; afin qu’en