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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/475

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l’avait fait tel, il ne l’en punirait pas. Car si nous n’imputons point à nos serviteurs des choses que nous avons faites nous-mêmes, Dieu, qui est infiniment juste, gardera bien plus exactement que nous cette règle de l’équité naturelle.
Comment donc, ajoutent-ils, l’homme est-il tombé dans cette misère ? – C’est par sa négligence et par sa propre faute. Mais comment, disent-ils, par sa propre faute ? – Consultez-vous vous-même, et vous le comprendrez aisément. Car si les méchants ne sont pas méchants par leur propre faute, pourquoi frappez-vous quelquefois votre serviteur ? Pourquoi faites-vous des reproches à votre femme ? Pourquoi châtiez-vous votre fils ? Pourquoi accusez-vous votre ami ? Pourquoi haïssez-vous celui qui vous fait une injustice ? Si ces personnes sont innocentes dans le mal qu’elles font, et si elles ne sont pas elles-mêmes cause du mal qu’elles commettent, vous devez plutôt les plaindre que les punir. C’est que je ne suis pas conséquent, direz-vous, et que je sais mal raisonner. – Et cependant lorsque vous êtes bien convaincu qu’il n’y a point de la faute de vos domestiques, quel que soit le fait, vous savez très bien raisonner et pardonner. Quand votre serviteur par exemple ne fait pas ce que vous lui avez commandé, parce qu’il est malade, vous ne vous plaignez pas de lui, mais vous le plaignez lui-même. Vous reconnaissez donc alors que, s’il ne vous obéit pas ; ce n’est que par une cause étrangère qui est la faiblesse de son corps, et non un dérèglement volontaire qu’on puisse lui imputer légitimement. Il en est de même du premier homme. Si vous étiez convaincu qu’il eût été créé dans le péché, bien loin de le blâmer de sa chute, vous le plaindriez dans son malheur. Car il ne serait pas raisonnable d’excuser votre serviteur lorsqu’il ne vous obéit point parce qu’il est malade, et de n’excuser pas le premier homme d’avoir désobéi à Dieu, s’il avait été créé dans une impuissance naturelle de lui obéir.
Mais nous pouvons encore, d’une autre manière, fermer la bouche à nos contradicteurs. La vérité n’est jamais au dépourvu. Car d’où vient, par exemple, qu’ils n’accusent point leurs serviteurs de ce qu’ils n’ont pas la mine ou la taille assez avantageuse ou de ce qu’ils n’ont pas d’ailes ; sinon parce qu’ils savent que le défaut de ces qualités vient de la nature et non de la volonté, et qu’ainsi on ne peut justement accuser ceux qui ne les ont point ? Il n’y a personne qui ne demeure d’accord de cette vérité. Lors donc que vous accusez un homme, il est visible dès lors que ce que vous reprenez en lui, vient du choix de la volonté et non de la nécessité de la nature. Car si nous ne pouvons, blâmer comme une faute ce qui est purement naturel, il est clair que ce que nous croyons avoir droit de condamner, ne vient pas de la nature, mais du choix libre de la volonté.
Ne m’opposez donc plus ce raisonnement si faux, et ces subtilités sophistiques, qui n’ont rien de plus solide que les toiles d’araignée. Répondez-moi seulement à ce que je vous demande. Dieu n’a-t-il pas créé tous les hommes ? Je crois que, personne n’en doute. Pourquoi donc ayant tous été également créés de Dieu, ne sont-ils pas tous également ou bons ou méchants ? D’où vient que les uns sont vicieux et les autres vertueux ? Si ces choses dépendent seulement de la nature et non de la volonté, pourquoi les uns s’appliqueraient-ils au bien et les autres au mal ? Si, les hommes étaient naturellement méchants, qui d’entre eux pourrait être bon ? et s’ils étaient, naturellement bons, qui d’entre eux pourrait être méchant ? Car si la nature est une dans tous les hommes, toutes leurs inclinations auraient dû être les mêmes, et non pas innocentes dans, les uns et criminelles dans les autres. Que si l’on dit que les uns sont naturellement bons et les autres naturellement méchants, il est visible que cette pensée est contraire à la raison. Car il s’ensuivrait que les hommes seraient immuables dans le bien et dans le mal, comme nous voyons que les choses naturelles sont immuables. Ainsi, parce que l’homme dans l’état où il est, est naturellement passible et mortel, il ne s’en trouve aucun qui soit impassible et immortel.
Disputez et raisonnez tant que vous voudrez, vous ne changerez point ce qui est devenu naturel à l’homme. Nous voyons au contraire tous les jours que plusieurs passent du vice à la vertu, et de la vertu au vice, que les uns, de lâches qu’ils étaient deviennent fervents, et que les autres de fervents deviennent lâches. Il est donc visible que ces qualités ne sont point naturelles, puisque ce qui est naturel ne peut ni s’acquérir ni être changé par le soin des hommes. Comme l’homme n’a besoin d’aucun effort pour voir et pour entendre,