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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/53

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des saints ont beaucoup de force, mais c’est lorsque nous y joignons notre pénitence, et que nous changeons de vie. Sans cela Moïse lui-même, qui avait délivré son frère, et six cent mille hommes de la colère de Dieu, n’a pas le pouvoir de délivrer sa sœur, quoique son péché fût beaucoup moindre. Elle n’avait murmuré que contre Moïse son frère, mais le crime des autres était une impiété contre Dieu même. Je vous laisse à examiner la conduite de Dieu en cette rencontre, et je passe à d’autres choses plus difficiles. Car pourquoi parler de la sœur, puisque Moïse lui-même, ce grand conducteur du peuple de Dieu, n’a pu obtenir ce qu’il désirait, et qu’après mille travaux et mille peines, après un gouvernement de quarante ans, Dieu lui refuse d’entrer dans cette terre si souvent promise ?
Quelle est donc la raison de cette conduite ? C’est parce que cette grâce, qu’on eût faite à Moïse, n’eût pas été avantageuse pour tout le peuple, et qu’elle eût pu être une occasion de chute et de ruine à un grand nombre de Juifs. Car si après avoir été seulement délivrés de la servitude de l’Égypte, ils quittaient Dieu pour ne s’attacher qu’à Moïse, qu’ils regardaient comme l’unique auteur de toutes ces grâces, s’il les eût encore introduits dans cette terre promise, à quelle impiété ne se fussent-ils point emportés ? C’est pour ce sujet que Dieu leur a même voulu cacher son sépulcre.
Samuel aussi a souvent sauvé tout le peuple juif, mais il n’a pu sauver Saül de la colère de Dieu. Jérémie ne put rien pour le peuple juif, quoiqu’il soit marqué qu’il en sauva d’autres. Daniel put bien délivrer de la mort les sages de Babylone, mais il ne put délivrer les Juifs de la servitude. Ce prophète alors délivra les uns, et ne put délivrer les autres ; mais nous voyons dans l’Évangile qu’un même homme qui avait pu se délivrer en un temps, ne put plus se délivrer en un autre ; celui qui devait les dix mille talents, obtint d’abord la remise de la dette, et ne la put obtenir ensuite. Un autre, au contraire, s’étant perdu d’abord, se sauva depuis, comme cet enfant prodigue, qui, après avoir dissipé le bien de son père, revint à lui et obtint le pardon de sa faute.
Si donc nous sommes lâches et paresseux, les autres ne nous pourront secourir : mais si nous veillons sur nous, nous nous secourrons nous-mêmes, et beaucoup mieux que les autres ne le pourraient faire. Dieu aime bien mieux accorder sa grâce aux prières que nous lui en faisons nous-mêmes, qu’à celles que lui font les autres pour nous, parce que l’application même avec laquelle nous nous mettons en peine de détourner sa colère, fait que nous approchons de lui avec plus de confiance, et que nous réglons notre vie avec plus de soin. C’est ainsi qu’il fit autrefois miséricorde à la Chananéenne, qu’il guérit Madeleine, et qu’il fit passer ce saint larron de la croix dans le paradis, sans aucun médiateur qui priât pour eux.
5. Je vous dis ceci, mes frères, non pour vous détourner de prier les saints, mais de peur que vous ne vous abandonniez à la négligence, et que demeurant vous-mêmes dans un profond sommeil, vous ne vous contentiez de charger les autres du soin de votre salut. Quand Jésus-Christ dit « Faites-vous des amis (Lc. 16,9) », il ne s’arrête pas là, mais il ajoute : avec les biens que vous avez acquis injustement, afin de concourir vous-mêmes à l’œuvre de votre salut. Car il ne recommande par là que l’aumône, et ce qui est admirable, il n’entre point avec nous dans un compte exact et rigoureux, pourvu que nous nous retirions de l’iniquité. Il semble qu’il dise : Vous avez jusqu’ici acquis du bien par de mauvaises voies, employez-le maintenant en de bonnes œuvres. Vous l’avez amassé par vos injustices, répandez-le selon la justice.
Est-ce une vertu bien haute de donner ce qui n’est pas à soi ? Cependant Dieu, dans l’amour extrême qu’il a pour les hommes, porte la condescendance jusqu’à nous promettre de grands biens, si nous en usons de la sorte.
Mais nous sommes dans une insensibilité si grande, que nous ne faisons pas même l’aumône d’un bien acquis injustement, et que si après avoir volé des millions nous en donnons une très-petite partie, nous croyons nous être acquittés de tout. Avez-vous oublié ce que dit saint Paul : Que « qui sème peu recueillera peu ? » (1Cor. 9,6) Pourquoi donc semez-vous avec parcimonie ? Ce n’est pas perdre, mais gagner, que de semer avec abondance ; ce n’est pas répandre, mais amasser. Après la semence, la moisson ; avec la semence, la multiplication.
Si vous aviez à cultiver une bonne terre et qui pourrait rapporter beaucoup, vous ne