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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/54

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vous contenteriez pas d’y mettre le blé que vous avez, mais vous en emprunteriez même pour pouvoir la semer comme il faut, et vous croiriez que ménager en cette occasion ce serait perdre. Et lorsque vous avez à cultiver non la terre, mais le ciel, qui n’est sujet à aucune inégalité de saisons, et qui infailliblement rend avec usure ce qu’on lui confie vous hésitez, vous tremblez et vous ne comprenez pas que c’est perdre alors que d’épargner et gagner que de dépenser. Répandez donc afin de ménager ; n’amassez point afin d’amasser ; perdez afin de conserver, prodiguez afin de gagner. S’il faut conserver votre bien, ne vous en chargez pas vous-même, car vous perdriez tout ; laissez-le à Dieu en dépôt et nul ne pourra le lui ravir. Ne faites pas valoir vous-même votre argent, vous ne vous entendez pas à le faire profiter, prêtez sinon tout du moins la plus grande partie de votre capital à Celui qui vous le rendra avec les intérêts. Déposez-le là où il ne sera exposé ni aux surprises, ni aux craintes, ni aux accusations, ni à l’envie. Donnez votre argent à Celui qui n’a besoin de rien et qui est néanmoins dans la nécessité à cause de vous. Donnez-le à Celui qui nourrit toutes choses et qui a faim néanmoins pour empêcher que vous ne mouriez de faim. Donnez-le à Celui qui s’est fait pauvre, afin de vous enrichir. Pratiquez cette usure qui vous donnera non la mort, mais la vie. L’autre usure mène en enfer, celle-ci ouvre le paradis. L’une est un effet de l’avarice et l’autre de la vertu ; l’une vient de la cruauté et l’autre de la charité.
Quelle excuse donc nous restera-t-il, si nous rejetons un gain si grand, si avantageux, si assuré, si favorable, exempt de contrainte, d’appréhension, de reproche et de péril, pour en chercher un autre si vil, si honteux, si fragile, si incertain, où nous ne trouvons que notre éternelle damnation ? Car il n’y a rien de plus infâme ni de plus cruel que l’usure terrestre. L’usurier trafique du malheur des autres. Il s’enrichit de leur pauvreté ; il exige ensuite ses intérêts, comme s’ils étaient dus à sa charité. Il est impitoyable, et il a peur de paraître tel. Il semble qu’il veut obliger le pauvre, et il l’accable davantage ; sous une apparence d’humanité, il creuse de plus en plus l’abîme, sous les pas de son frère. Il lui tend une main, et il le pousse de l’autre dans le précipice. Il s’offre pour secourir celui qui périt, et au lieu de le mener dans le port, il le jette contre les écueils, et le brise sur les rochers.
Mais que ferai-je donc, dites-vous ? Irai-je donner un argent que j’ai gagné, et qui m’est si nécessaire, afin qu’un autre en profite, sans que j’en retire moi-même aucun avantage ? Je ne vous dis pas cela. Je veux que vous en retiriez de l’avantage, et un plus grand même, que vous ne pouviez désirer. Je veux qu’au lieu de l’or vous acquériez le ciel même. Pourquoi vous procurez-vous une pauvreté si extrême, en vous tenant toujours attaché à la terre, et en préférant un petit gain à une si grande récompense ? N’est-ce pas ignorer le véritable moyen de s’enrichir ? Quand Dieu vous promet au lieu d’un peu d’argent tous les biens du ciel, et que vous le priez au contraire de ne vous point donner le ciel, mais un peu d’argent, qu’est-ce autre chose, que de le prier de vous laisser toujours pauvre ? Celui au contraire qui veut devenir véritablement riche, préfère les grands biens aux petits ; les certains aux incertains ; les célestes aux terrestres ; les incorruptibles aux périssables, et c’est ainsi qu’il se rend digne de posséder les uns et les autres. Car celui qui préfère la terre au ciel, perdra l’un et l’autre, mais celui qui préfère le ciel à la terre, jouira de tous les deux, et d’une manière sans comparaison plus stable et plus heureuse. Méprisons donc les biens présents, et n’aspirons qu’aux biens à venir, pour jouir ainsi des biens présents et des biens futurs, par la grâce et par la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.