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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/538

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se plongent dans toutes sortes de crimes.
Je suis obligé de gémir ici, mes frères, en voyant aujourd’hui tant de monde dans le désordre par cette insensibilité malheureuse. Mais je conjure tous ceux qui m’écoutent de ne se point laisser aller à cet endurcissement. Ne croyez point que vous ne puissiez vous convertir ; et en quelque état funeste que le crime vous ait réduits, ne désespérez jamais de vous-mêmes. Il est aisé à Dieu de vous retirer du fond de l’abîme de tous les vices. N’avez-vous point entendu parler de la courtisane fameuse qui, après s’être convertie, a brillé par sa piété autant qu’elle s’était signalée auparavant par sa vie abominable ? Je ne vous parle point de cette bienheureuse pécheresse de l’Évangile, mais d’une célèbre courtisane de Phénicie, qui s’est convertie de notre temps. Je me souviens que lorsque j’étais encore jeune, elle paraissait sur le théâtre avec grand éclat, et qu’on ne parlait que d’elle, non seulement en ce pays, mais dans toute la Cilicie et la Cappadoce. On sait combien de familles elle a ruinées, et combien de jeunes hommes elle a surpris. On dit même qu’elle usait de la magie, et que comme si sa beauté naturelle n’eût pas suffi pour corrompre assez de personnes, elle y ajoutait ces détestables artifices pour enchanter les hommes de son amour. Le frère de l’impératrice même s’y laissa surprendre tant il était difficile de se défendre de ce piège du démon.
Cependant je ne sais comment tout à coup, ou pour parler plus véritablement, je sais que par une conversion sincère de son cœur et par le changement de sa vo1onté, elle attira sur elle tant de bénédictions et tant de grâces, que n’ayant plus que de l’horreur pour toute sa vie passée, et foulant aux pieds tous ces enchantements du démon, elle oublia la terre pour s’élever dans le ciel. Quoique d’abord il n’y eût rien de plus infâme que sa vie, et qu’elle se fût toute dévouée au théâtre, elle s’est néanmoins purifiée de telle sorte par tous les exercices de la pénitence, par le cilice qu’elle ne quittait jamais, et elle a brûlé d’un amour si ardent pour la chasteté, qu’elle a surpassé plusieurs de celles mêmes qui étaient toujours demeurées vierges. On s’efforça même de la reprendre : et celui qui avait la principale autorité dans la ville, envoya des gens armés pour se saisir de sa personne, mais ils ne purent jamais la retirer du milieu d’une troupe de pieuses vierges qui l’avaient reçue. Après avoir été baptisée, et avoir été jugée digne de la participation des mystères ineffables, elle répondit à cette grâce par une vie toute sainte, et, se purifiant par un accroissement continuel de vertu, elle persévéra dans cet état jusqu’à sa mort bienheureuse. Elle n’a jamais voulu être vue, depuis sa conversion, d’aucun de ceux qui avaient été passionnés pour elle pendant ses désordres. Mais une fois qu’elle se fut renfermée dans cette maison sainte, elle y vécut plusieurs années comme dans une prison.
4. C’est ainsi, mes frères, « que les premiers seront les derniers, et que les derniers seront les premiers ». C’est ainsi que si minus avons une âme fervente et embrasée de l’amour de Dieu, nous ne trouverons rien qui nous empêche de nous convertir, et de rendre même notre vertu un sujet d’admiration et d’étonnement. C’est pourquoi que nul de ceux qui vivent mal, ne se désespère et ne s’abatte, et que nul aussi de ceux qui vivent bien ne se relâche, de peur que les femmes prostituées ne le devancent dans le royaume de Dieu. Que les pécheurs ne perdent point courage, puisqu’ils peuvent devenir les premiers et surpasser les plus justes. Écoutez ce que Dieu dit à Jérusalem : « Je lui ai dit après tant de crimes, convertissez-vous à moi, et elle ne s’est point convertie ». (Jer. 3,1) Quand nous nous convertissons à Dieu, et que nous l’aimons avec ardeur, il ne se souvient plus de toute notre vie passée. Il n’agit pas comme les hommes ; il ne nous reproche point nos premiers désordres. Il ne nous dit point : Pourquoi avez-vous été si longtemps dans ces dérèglements infâmes ? Il nous reçoit avec amour lorsque nous en faisons pénitence ; il vient au-devant de nous, lorsque nous retournons à lui. Il veut seulement que ce retour soit sincère.
Allons donc, nies frères, convertissons-nous à Lui. Attachons-nous fortement à Lui, et clouons nos cœurs par sa crainte. Nous avons de ces exemples, non seulement dans le Nouveau Testament, mais encore dans l’Ancien. Car qui fut jamais plus méchant que Manassé ? Cependant il apaisa Dieu, et il fléchit sa colère par ses larmes. Qui fut jamais plus vertueux que Salomon ? Cependant, pour s’être relâché dans son bonheur, il tomba dans un abîme de désordres. Mais je puis vous donner un