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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/542

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bâtit une ville, il leur dressa un temple, il leur établit un autel, et il s’en alla « dans un pays éloigné », c’est-à-dire qu’il usa envers eux d’une longue patience, parce que Dieu ne punit pas les pécheurs aussitôt qu’ils sont tombés dans le crime. Ainsi ce long éloignement marque sa douceur et sa longue patience : « Il leur envoya ses serviteurs », c’est-à-dire ses prophètes, « pour exiger d’eux le fruit », c’est-à-dire des témoignages de leur fidélité et de leur obéissance par leurs œuvres. Mais ils agissent comme les plus ingrats et les plus méchants de tous les hommes.
Après tant de grâces et tant de faveurs, non seulement ils ne rendent point de fruit, ce qui néanmoins était une négligence et une paresse insupportable, mais ils traitent même outrageusement ceux qui leur viennent demander. N’ayant rien à donner à leur Maître qui exigeait d’eux si justement le fruit de leur vigne, ils ne devaient pas au moins se fâcher contre lui, ni s’emporter d’une si étrange colère contre tous ses serviteurs. Ils devaient plutôt avoir recours aux prières et aux larmes pour fléchir leur Maître. Cependant, non seulement ils se mettent en colère, parce qu’on leur demande ce qu’ils devaient, mais ils trempent même leurs mains cruelles dans le sang des innocents. Ils font souffrir aux autres les peines qu’on leur devait faire souffrir à eux-mêmes : « Tous ces serviteurs, qu’on leur envoie en divers temps » par deux ou trois diverses fois, ne font qu’irriter leur malice ; et ce qui montrait un excès de douceur dans le Maître, fit voir un excès de dureté « dans ses ouvriers ». Vous me direz peut-être pourquoi n’envoya-t-il pas d’abord son Fils propre ? C’était afin que ce qu’ils avaient déjà osé faire leur ouvrît les yeux, qu’ils reconnussent leur crime, et que ce désaveu des indignités commises contre les serviteurs, les disposât à recevoir le Fils avec le respect qui lui était dû.
On pourrait encore donner d’autres raisons ; mais je ne m’y arrête pas pour me hâter d’expliquer la suite. Que veut dire cette parole « Ils auront du respect au moins pour mon Fils » ? Il ne parle pas de la sorte comme ignorant la manière dont ils devaient le recevoir, mais pour faire mieux voir l’excès d’un crime qui était indigne de tout pardon. Car il savait trop assurément que s’il l’envoyait parmi eux, ces méchants le tueraient. Il dit donc : « Ils auront du respect au moins pour mon Fils » pour marquer ce qu’ils devaient faire ; parce qu’il est visible qu’il leur convenait d’avoir ce sentiment de respect. C’est ainsi qu’il parle au prophète Ézéchiel : « Parlez-leur pour voir s’ils vous écouteront (Ez. 2) » ; non qu’il ignorât qu’ils ne l’écouteraient jamais, mais pour empêcher quelques impies de dire que c’était cette prédiction inévitable de Dieu qui forçait ce peuple à demeurer dans son opiniâtreté. C’est la raison pour laquelle Dieu parle ici de la même manière, et comme s’il doutait : « Ils auront peut-être du respect pour mon Fils ». Car s’ils s’étaient conduits si criminellement envers les serviteurs, leur respect pour le Fils aurait au moins dû les retenir.
Que font-ils donc lorsqu’ils l’aperçoivent ? Au lieu de courir à lui, de se prosterner devant lui pour lui demander pardon de leurs excès, ils en commettent encore de plus horribles. C’est ce que Jésus-Christ leur disait par ces paroles : « Emplissez la mesure de vos pères ». (Mt. 23,32) Et les prophètes leur faisaient aussi ce reproche « Vos mains sont pleines de sang. Ils mettent le sang avec le sang ». (Is. 1,15) Et ailleurs : « Ils baptisent Sion en versant le sang ». (Os. 4,2) Ce commandement si formel de Dieu, « vous ne tuerez point (Mic. 3,1) », ne les retient pas. Tant d’autres observances que la loi leur commandait pour les empêcher de tomber dans l’homicide ne les touchent point. Et ils se confirment dans leur cruauté par une accoutumance détestable. Que disent-ils donc, « lorsqu’ils aperçoivent ce Fils ? Allons, tuons-le », disent-ils. Pourquoi ! Qu’ont-ils à lui reprocher ! Quel mal leur a-t-il fait en la moindre chose ? Est-ce parce qu’il les a si particulièrement honorés, et qu’étant Dieu il s’est fait homme pour eux ? Est-ce parce qu’il a fait une infinité de merveilles, qu’il leur a pardonné leurs péchés, et qu’il les invite à son royaume ?
2. Mais voyez de quelle folie ils accompagnent leur impiété, et combien la raison qu’ils allèguent pour le tuer est déraisonnable : « Tuons-le », disent-ils, « afin que l’héritage soit à nous ». Et où le veulent-ils tuer ? Hors de la vigne. Ainsi vous voyez que Jésus-Christ marque jusqu’au lieu même où on le devait faire mourir : « Ils le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent ». (Lc. 20,14) Saint Luc marque que c’est Jésus-Christ qui déclara lui-même le supplice qu’on tirerait de