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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/600

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que, ne pouvant les sauver d’une si grande misère, elles seront contraintes de périr aussi avec eux. II est aisé de mépriser son argent ou ses habits, comme Jésus-Christ le commande à ces deux sortes de personnes dont il vient de parler, parce qu’on peut en retrouver d’autres dans la suite ; mais ici comment peut-on renoncer à des affections que la nature même grave dans nos cœurs ? Comment une nourrice peut-elle mépriser l’enfant qu’elle nourrit de son lait ? Jésus-Christ montre ensuite la grandeur de ce malheur, lorsqu’il dit : « Priez Dieu que votre fuite ne se fasse point durant l’hiver ni au jour du sabbat (20) ». Il est visible, par ces paroles, que Jésus-Christ parle des Juifs et des maux dont ils seront affligés, puisque les apôtres ne devaient point observer le « sabbat », ni se trouver dans la Judée, lorsque Vespasien la réduirait à de si grandes extrémités. Car la plupart d’entre eux étaient déjà morts, et s’il en restait encore quelqu’un, il vivait dans d’autres contrées. Cette fuite était donc à éviter en hiver, à cause du froid et du mauvais temps, et au jour du sabbat, à cause du commandement de la Loi, et comme on ne pouvait se sauver que par une prompte fuite, ces deux sortes de temps auraient été très-incommodes. C’est pourquoi Jésus-Christ les avertit de prier Dieu.
« Car les misères de ce temps-là », dit-il, « seront si grandes qu’il n’y en a point eu depuis le commencement du monde jusques à présent, et qu’il n’y en aura jamais de semblables (21) ». Ceci ne doit point être pris pour une exagération, et l’histoire de Josèphe en justifie assez la vérité. On ne peut pas dire non plus que cet auteur, étant chrétien, n pris plaisir à exagérer ces malheurs pour faire voir la vérité de ce que Jésus-Christ prédit ici, puisque Josèphe était juif, et des plus zélés d’entre les Juifs qui sont venus après la naissance du Sauveur. Cependant il dit que ces malheurs ont passé tout ce que l’on peut s’imaginer de plus tragique, et il assure que les Juifs ne se sont jamais trouvés réduits à de si étranges extrémités. Car la rage de la faim fut si excessive, qu’elle fit oublier aux mères toute la tendresse de la nature, en sorte que deux s’étant accordées ensemble à manger leurs enfants, se querellèrent ensuite parce que l’une, après avoir mangé l’enfant de l’autre, ne voulut pas lui donner aussi le sien à manger. Il marque même que la nécessité forçait les hommes jusqu’à ouvrir le ventre des morts pour leur arracher les entrailles.
Je voudrais donc savoir des Juifs pourquoi Dieu a voulu les affliger d’une guerre à laquelle on n’a jamais rien vu de semblable, non seulement dans la Judée, mais dans tout le reste du monde, et s’il n’est pas visible que c’est pour les punir de l’injuste condamnation du Sauveur du monde qu’ils ont fait mourir sur la croix. Il n’y a pas un homme tant soit peu éclairé qui ne reconnut cette vérité ; ou plutôt le seul événement des choses la publierait au lieu de nous. Car, lorsqu’on considère l’excès de ces maux, ils paraissent au-dessus de toute croyance, en les comparant non seulement avec ceux qui sont déjà arrivés, mais avec tous ceux qui arriveront jamais. Qu’on lise toutes les histoires, on n’y trouvera point de malheurs semblables. Et certes les Juifs avaient bien mérité un traitement si inouï, puisque jamais peuple ne s’était porté à de tels excès : « Les misères » donc « de ce temps-là seront si grandes qu’il n’y en a point eu depuis le commencement du monde jusqu’à présent, et qu’il n’y en aura jamais de semblables ».
« Que si ces jours n’avaient été abrégés, nul homme n’aurait été sauvé : mais ces jours seront abrégés en faveur des élus (22) ». Jésus-Christ témoigne par ces paroles que les Juifs méritaient encore plus de tourments qu’ils n’en ont souffert. Il entend par ce mot « de jours » le temps de la guerre et du siège de Jérusalem, et il déclare que si ce siège et cette guerre eussent encore duré quelque temps, il ne serait pas resté un seul Juif. Par ce mot de « nul homme », il n’entend que ce peuple ; et il y comprend également les Juifs qui seraient alors dans leurs pays, et ceux qui seraient dispersés par tout le monde. Car ce n’était pas seulement dans la Judée que les Romains persécutaient les Juifs : ils les haïssaient partout où ils les trouvaient ; et l’aversion qu’ils avaient pour eux les leur faisaient proscrire et bannir dans tout l’univers.
2. Ces « élus » dont il parle sont les chrétiens qui devaient se trouver engagés au milieu des Juifs durant ce siège. Il empêchait par ces paroles qu’on ne rejetât un jour la cause de tant de maux sur ses fidèles, et il déclare que bien loin d’avoir souffert ces extrémités à cause des chrétiens qui étaient mêlés parmi eux, les Juifs en auraient au contraire souffert beaucoup davantage sans la considération de