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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/61

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la guérit de sa stérilité, et d’une roche dure fit un champ fertile.
6. Vous imiterez encore votre Seigneur et votre Dieu, si vous pleurez de cette manière, puisqu’il a pleuré lui-même la mort de Lazare et la ruine de Jérusalem, et qu’il a été ému et troublé de la perte de Judas. Enfin on le trouve souvent pleurant, mais on ne le trouve point riant, il ne souriait même jamais. Au moins nul des Évangélistes ne l’a marqué. L’Écriture aussi rapporte que saint Paul « a pleuré la nuit et le jour durant trois ans. » (Act. 20,31) Lui-même le dit, et d’autres encore l’ont dit de lui ; mais ni lui ni personne n’a point écrit qu’il ait ri ; et nul des Saints ne l’a écrit aussi ni de soi-même ni d’un autre. On n’a dit cela que de Sara, qui en fut aussitôt reprise, et de l’un des fils de Noé, qui de libre qu’il était en devint esclave. Ce que je ne dis pas toutefois pour défendre absolument de rire jamais, mais peur bannir la dissipation.
Et véritablement quel sujet avez-vous tant de vous réjouir, et d’éclater de rire, puisque vous êtes encore si redevables à la justice divine, puisque vous devez comparaître devant un tribunal si terrible, et rendre un compte exact de toutes vos actions ? Fautes volontaires et même involontaires, nous rendrons raison de tout : « Si quelqu’un », dit le Sauveur, « me renonce devant les hommes, je le renoncerai devant mon Père, qui est dans les cieux. » (Mt. 10,33) Et ainsi quoique ce renoncement ait été involontaire, on n’évitera pas le supplice.
Nous répondrons encore et de ce que nous savons, et de ce que nous ne savons pas, puisque l’Apôtre dit : « Je ne me sens coupable de rien, mais cela ne me justifie pas. » (1Cor. 4,4) Et il montre encore que l’ignorance n’excuse point, lorsqu’il dit des Juifs : « Je puis leur rendre ce témoignage, qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais leur zèle n’est pas selon la science (Rom. 10,2) », ce qui néanmoins ne suffit pas pour les excuser. Et écrivant aux Corinthiens, il leur dit : « Je crains que comme le serpent trompa Eve par sa malice, on ne vous corrompe l’esprit, et que vous ne perdiez la simplicité qui est selon Jésus-Christ. » (2Cor. 11,3)
Comment ! vous avez à rendre compte de tant de péchés, et vous vous amusez à rire, à dire des plaisanteries, et à rechercher les délices de la vie ? Mais que gagnerai-je, me dites vous, quand je pleurerai au lieu de rire ? Vous y gagnerez infiniment. Dans la justice du siècle un criminel a beau pleurer ; on ne rétractera point pour cela l’arrêt de sa condamnation. Mais dans l’église si vous soupirez seulement, vos soupirs feront révoquer votre sentence, et vous obtiendront le pardon. C’est pour cette raison que Jésus-Christ nous recommande tant les larmes, et qu’il appelle heureux ceux qui pleurent, et malheureux ceux qui rient. L’église n’est point un théâtre, et nous ne nous y assemblons point pour rire aux éclats, mais pour gémir, et pour acquérir un royaume par nos pleurs et par nos soupirs. Quand vous êtes devant un roi de la terre, vous n’osez pas même sourire ; et lorsque le Seigneur des anges habite au milieu de vous, vous ne paraissez point devant lui avec la bienséance et la frayeur respectueuse qu’il demande ; mais vous riez même souvent, lorsqu’il est en colère contre vous. Ne voyez-vous pas que vous irritez encore plus Dieu par ce mépris, que par tous vos crimes ? Dieu d’ordinaire n’a pas tant d’horreur de ceux qui pèchent, que de ceux qui ne se repentent point après leurs péchés.
Cependant il y a des personnes assez insensibles pour pouvoir dire après tout ceci : Dieu me garde de pleurer jamais ; mais le don que je lui demande c’est de rire et de me divertir toute ma vie. Y a-t-il rien de plus bas et de plus puéril que cette pensée ? Les divertissements ne sont pas un don de Dieu, mais du diable. Écoutez ce qui arriva autrefois à ceux qui se divertissaient : « Le peuple », dit l’Écriture, « s’assit pour manger et pour boire ; et il se leva ensuite pour jouer. » (Ex. 32,6) Tel était le peuple de Sodome ; tels étaient ceux qui vivaient avant le déluge. Car Dieu dit des premiers qu’« ils étaient plongés dans les délices, dans l’orgueil, dans les festins, et dans l’abondance de toutes choses. » (Ez. 16,49) Et les seconds qui vivaient du temps de Noé, le voyant devant leurs yeux bâtir l’arche durant tant de temps, ne pensèrent qu’à prendre leurs divertissements, sans être touchés de douleur pour leurs péchés, et sans se mettre en peine de l’avenir. C’est pourquoi le déluge venant, les enveloppa tous, et ils périrent dans ce naufrage commun de toute la terre.
7. N’attendez donc point de Dieu ce que le démon seul donne aux hommes. Le don que Dieu nous fait est un cœur contrit et humilié, qui veille sur soi-même avec une grande circonspection (51), et qui est