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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/611

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Et ailleurs : Peut-être qu’ils m’écouteront, peut-être qu’ils deviendront sages » ? (Ez. 24,6) Et dans l’Évangile : « Peut-être qu’ils auront quelque respect pour mon Fils ». (Lc. 20,13)
Quoique toutes ces expressions semblent témoigner quelque ignorance, néanmoins, lorsque Dieu s’en sert, ce n’est pas qu’il manque quelque chose à sa lumière, mais seulement qu’il descend jusqu’à nous et qu’il s’accommode à notre faiblesse. Ainsi, lorsqu’il demandait à Adam où il était, c’était pour lui faire connaître à lui-même ce dérèglement de son cœur, qui le porta à excuser plutôt son péché qu’à le réparer. Lorsqu’il témoigne vouloir s’informer plus exactement du péché des Sodomites, c’est pour nous apprendre à ne point précipiter nos jugements, et à ne rien affirmer dont nous ne soyons très assurés. Lorsqu’il parle ainsi par Ézéchiel comme quelqu’un qui doute : « s’ils écoutent, s’ils deviennent sages », c’est pour empêcher qu’une prophétie plus claire, et qu’une assurance entière qu’ils ne l’écouteraient pas, ne fût à des âmes faibles comme un prétexte et une occasion de désobéissance, en croyant qu’après cet oracle de Dieu la désobéissance était devenue nécessaire et inévitable. Ainsi, cette parole de l’Évangile : « Peut-être qu’ils auront quelque respect pour mon Fils », n’est dite que pour témoigner à ses serviteurs ingrats qu’ils devaient au moins respecter ce Fils. Ce qu’il dit de même en ces deux endroits : « qu’il ne connaît pas ce jour », et « qui est le serviteur fidèle » ; il ne le dit que pour empêcher d’un côté ses disciples de s’informer de ce jour, et que pour montrer de l’autre que « ce serviteur fidèle » était quelque chose d’extrêmement rare, et d’infiniment précieux.
Et jugez, mes frères, quelle ignorance ces paroles supposeraient dans le Fils de Dieu, si on les prenait à la lettre ; puisqu’il ignorerait même celui qu’il « établirait sur toute sa famille ». Il appelle ce serviteur « heureux », et il ne saurait pas quel il est ? « Qui est », dit-il, « ce serviteur que le maître établira sur sa maison ? Heureux le serviteur que son maître à son arrivée trouvera agissant de la sorte ». Cette « fidélité » dont Jésus-Christ parle ici ; ne regarde pas seulement celle qu’on doit apporter dans la dispensation de l’argent ; mais encore celle qu’on doit garder dans la dispensation de la parole, de la puissance des miracles et de tous les autres dons qu’on aurait reçu de Dieu.
On peut appliquer cette parabole aux princes et à tous ceux qui gouvernent les États. Car elle leur apprend à tous à contribuer au bien public autant qu’ils le peuvent, soit par leur sagesse, soit par leur autorité, soit par leurs richesses, soit par tous les autres avantages qu’ils possèdent, et non pas à en abuser pour perdre leurs sujets et pour se perdre eux-mêmes.
Jésus-Christ demande deux conditions principales et essentielles dans ce serviteur : la « fidélité » et la « prudence », car tout péché vient de quelque principe d’imprudence et de folie. Il l’appelle « fidèle », parce qu’il ne s’attribue rien de tout ce qui appartient à son maître, et qu’il ne dissipe point indiscrètement son bien. Et il l’appelle « prudent », parce qu’il sait dispenser à propos ce qu’on lui a confié. Nous avons nécessairement besoin de ces deux qualités pour être de bons serviteurs : l’une, de ne point usurper ce qui est à notre maître, et l’autre, de dispenser sagement tout ce qu’il nous donne comme en dépôt. Si l’une de ces deux qualités nous manque, le défaut de l’une rend l’autre imparfaite. Car si la fidélité de ce serviteur se bornait à ne rien voler, et qu’il consumât cependant le bien de son maître dans des dépenses inutiles, il serait sans doute très-coupable. Que si, au contraire, il ménageait cet argent, mais seulement à son avantage, et pour son propre intérêt, il mériterait encore d’être condamné.
Écoutez donc ceci, vous tous qui êtes riches. Cette parabole ne regarde pas seulement les pasteurs et les docteurs de l’Église. Elle regarde aussi les riches du monde, puisque c’est entre les mains de ces deux sortes de personnes que Dieu met en dépôt toutes ses richesses, Il donne aux premiers celles qui sont les plus importantes, et il en donne d’autres aux derniers, qui, quoique moindres, ne laissent pas d’être encore fort considérables. Si donc, lorsque les pasteurs de l’Église vous dispensent avec une sage libéralité les richesses si précieuses de leur maître, vous ne témoignez cependant de votre côté dans l’administration d’autres richesses moins considérables que de l’ingratitude, en usant si mal d’un bien qui proprement n’est pas à vous, mais à votre maître, quelle excuse aurez-vous, lorsqu’il vous reprochera une infidélité si honteuse ?