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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/614

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Mais parce que Dieu nous a accordé de lui-même ce que nous aurions si fort désiré de lui, si sa bonté ne nous avait prévenus, nous négligeons de nous prévaloir de cet avantage, et de nous servir d’un si grand remède. Vous me répondez que vous donnez l’aumône. Mais que donnez-vous ? Avez-vous jamais autant donné que cette pauvre femme de l’Évangile qui donna deux oboles ? Elle donna à Dieu tout ce qu’elle avait, et vous ne lui donnez rien de tout ce que vous ayez, mais vous le prodiguez en des dépenses criminelles. Tout votre bien s’en va en luxe et en festins. Vous traitez aujourd’hui, et on vous traite demain. Vous vous ruinez, et vous apprenez aux autres à se ruiner. Et ainsi vous êtes doublement coupables, et du crime que vous commettez, et de celui que vous leur faites commettre.
Remarquez ce que Jésus-Christ condamne en ce méchant serviteur « Il boit », dit-il, « et il mange avec les ivrognes ». Dieu punit non seulement « les ivrognes », mais ceux même qui leur tiennent compagnie. Et c’est certainement avec une grande justice, puisqu’en se corrompant eux-mêmes, ils corrompent aussi leurs frères. Rien n’irrite Dieu davantage que cette indifférence avec laquelle on voit périr son prochain sans s’en mettre en peine. Et Jésus-Christ voulant marquer ici quelle est sa colère contre ce serviteur qui avait blessé la charité de la sorte, dit : « qu’il sera séparé et mis au rang des hypocrites ». Il a déclaré aussi dans l’Évangile que l’aumône et la charité seraient la marque éternelle par laquelle on reconnaîtrait ses disciples, parce qu’il faut nécessairement que celui qui a de l’amour, soit sensible à tout ce qui regarde le bien de celui qu’il aime.
Suivons, mes frères, cette voie de la charité, puisque c’est elle principalement qui nous conduit dans le ciel, qui rend les Chrétiens de parfaits imitateurs de leur maître, et qui fait que les hommes deviennent semblables à Dieu autant qu’ils le peuvent être en cette vie. Aussi tout le monde sait que les vertus qui approchent de plus près de celle-ci, et qui lui sont le plus étroitement unies, sont celles qui nous sont le plus nécessaires. Nous approfondirons aujourd’hui cette matière, et nous écouterons ce que Dieu même nous en a dit.
Je suppose donc qu’il y a deux voies pour bien vivre : que dans l’une on ne travaille que pour soi, et que dans l’autre, au contraire, on s’intéresse pour son prochain. Voyons laquelle de ces deux voies nous relève davantage devant Dieu et nous conduit à une plus haute vertu. Ne voyons-nous pas que saint Paul blâme souvent celui qui ne pense qu’à soi, et qu’il loue au contraire celui qui travaille pour son prochain ? « Que personne », dit cet apôtre, « ne cherche ses intérêts, mais que chacun cherche les intérêts de ses frères (1Cor. 10,24) », s’efforçant ainsi de bannir de soi cet amour-propre, et d’introduire à sa place une charité catholique et universelle. Il dit ailleurs : « Que chacun de nous tâche de plaire à son prochain dans ce qui est bon et qui le peut édifier ». Et il ajoute à cette pratique une louange incomparable : « Car Jésus-Christ ne s’est pas plu à lui-même. » (Rom. 15,2)
Pouvons-nous douter après cela lequel des deux saint Paul approuve le plus ? Mais pour le faire encore mieux voir, considérons les vertus qui tic sont avantageuses qu’à celui qui les pratique, et celles qui se répandent encore sur les autres. Nous reconnaîtrons que les jeûnes, par exemple, les austérités du corps, le célibat, la vie réglée, sobre et tempérante, sont des vertus qui certainement servent à celui qui les possède ; mais que ces autres qui se communiquent au prochain, sont beaucoup plus relevées, comme l’aumône, la doctrine et la charité, dont saint Paul dit : « Quand je distribuerais tout mon bien pour la nourriture des pauvres, et que j’abandonnerais mon corps aux flammes, si je n’avais la charité, tout cela ne me servirait de rien ». (1Cor. 13,3)
6. Voyez-vous la charité louée et couronnée pour elle-même. Mais examinons encore ce sujet. Qu’un homme jeûne, qu’il soit tempérant, qu’il soit martyr même, et qu’il brûle dans les feux ; et qu’un autre diffère ou évite même tout à fait de souffrir le martyre, parce qu’il aime ses frères, et qu’il s’efforce de les servir et de les édifier, lequel des deux sera le plus grand après sa mort ? Il n’y a pas à délibérer longtemps sur ce point, puisque saint Paul dit clairement : « Je souhaite de mourir et d’être avec Jésus-Christ ; car c’est ce qui m’est le plus avantageux, mais il est encore nécessaire à cause de vous, que je demeure en ce monde ». (Phil. 1,23) Ainsi, il préfère l’édification du prochain au bonheur d’être uni à Jésus-Christ dans le ciel. Car le