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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/83

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nous n’amassons pas seulement cet argent dans nos coffres, nous le cachons encore dans la terre, lorsque nous pourrions le donner à Dieu, qui nous le conserverait pour l’autre vie ? N’Êtes-vous pas semblables à un laboureur, qui ayant reçu du blé pour le semer dans une terre bien préparée, le jetterait dans un lac où il périrait aussitôt, bien loin d’y pouvoir porter aucun fruit ?
Mais que disent ces personnes, lorsque nous leur faisons ce reproche ? Ce n’est pas pour nous une petite consolation, disent-elles, de voir chez nous ces trésors en assurance. C’est au contraire une grande consolation de savoir qu’on n’a point de trésor à garder chez soi. Car si vous ne craignez plus la famine, vous ne pouvez néanmoins éviter d’autres craintes plus fâcheuses ; la mort, la guerre, et les violences secrètes de vos ennemis. S’il arrive une famine, le peuple, pressé par le besoin, viendra à main armée envahir votre demeure. Ainsi vous contribuez vous-même par votre avarice à affamer toute une ville, et vous exposez votre maison à un plus grand mal que n’est celui que la faim et la pauvreté vous auraient pu faire.
Je n’ai point encore ouï dire de notre temps, que quelque pauvre soit tout à coup mort de faim. Il y a une infinité de remèdes contre ce mal. Mais je puis faire voir combien de personnes ont été tuées, ou en secret ou en public, pour leurs biens et leurs richesses, ou pour des sujets semblables. On en voit mille exemples dans les rues, dans les places publiques, et dans les, lieux même où l’on exerce la justice. Toute la terre en est pleine. Mais que dis-je, toute la terre ? La mer même est très souvent teinte du sang de ceux qui, y vont chercher des richesses. Tel s’expose sur la mer pour chercher de l’or, qui y trouve un pirate qui le tue pour avoir cet or. Ainsi le même désir des richesses, qui fait l’un marchand, fait l’autre pirate et homicide. Qu’y a-t-il donc de plus perfide que l’argent, puisqu’il engage tant de monde, ou à des bannissements volontaires ; ou à des périls extrêmes, ou à des morts sanglantes et malheureuses ? « Qui aura compassion », dit l’Ecclésiaste, « de l’enchanteur qui est mordu d’un serpent ? »(Qo. 10,11) Il faudrait au moins que la connaissance qu’ont les hommes de la cruelle domination de l’avarice, les empêchât de s’y soumettre, et les délivrât d’une passion si violente et si tyrannique. Mais comment cela se peut-il faire, me dites-vous ? Vous le ferez si vous substituez à cet amour de l’or, un autre amour, le désir des choses du ciel. Celui qui soupire après ce royaume, se rit de la passion de l’avarice. Le véritable serviteur de Jésus-Christ ne sera jamais l’esclave, mais le maître de l’argent. Car pour l’ordinaire l’argent poursuit qui le fuit ; et fuit qui le cherche. II respecte moins celui qui le souhaite que celui qui le méprise. Il se moque de celui qui court après lui ; et non seulement il s’en moque, mais il le charge de mille chaînes.
Rompons, mes Frères, ces fers si pesants. Pourquoi asservissez-vous une âme raisonnable à une matière morte et sans raison, qui est la mère de mille maux ? Mais, ô folie inconcevable des hommes ! nous faisons la guerre à l’avarice en paroles, et elle nous assujettit en effet. Elle nous traîne partout après elle comme des âmes vénales ; et comme des esclaves qu’elle a achetés avec de l’argent. Y a-t-il rien au monde de plus honteux et de plus infâme pour des chrétiens ? si nous ne pouvons pas nous élever au-dessus d’une matière sans âme et sans mouvement, comment pourrons-nous vaincre ces puissances spirituelles qui nous attaquent ? Si nous ne pouvons mépriser un peu de terre, et quelques petites pierres qui ont de l’éclat ; comment nous assujettirons-nous les principautés et les puissances ? Comment pourrons-nous pratiquer la chasteté, si nous ne pouvons résister à l’avarice ? Si l’éclat de l’argent nous fascine, comment résisterons-nous à l’attrait d’un beau visage ? Il y en a même qui sont tellement passionnés pour l’argent, qu’ils ne peuvent le regarder sans en être transportés, et qu’ils disent en plaisantant « que la vue de l’or est la joie des yeux. » Ne faites pas de ces plaisanteries, ô homme. Rien au contraire n’est plus pernicieux pour les yeux du corps et de l’âme, qu’un regard de convoitise jeté sur l’argent. C’est un tel regard qui a éteint les lampes des vierges folles, et qui les a exclues de la chambre de l’époux. Cette vue de l’or que vous dites être si agréable aux yeux, est ce qui a aveuglé Judas, qui lui a fermé le cœur pour ne pas se rendre à la voix de son maître ; qui l’a contraint de se tuer et de se perdre lui-même ; et qui a fait tomber en même temps ses entrailles sur la terre, et son âme dans l’enfer.
Qu’y a-t-il de plus funeste que cette passion ?