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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/94

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caché dans le cœur, et il prophétise en même temps ce qui devait leur arriver. Car il se trouve qu’en effet ils dirent à Jésus-Christ « Nous sommes la race d’Abraham, et nous n’avons jamais été esclaves de personne. »(Jn. 8,33) Saint Jean commence donc par rabaisser cet avantage, qui faisait le principal sujet de leur orgueil. Mais remarquez comme il les redresse sur ce point, sans déprécier aucunement le mérite du saint patriarche. Après avoir dit : « Ne songez pas à dire : nous avons Abraham pour père », il n’ajoute pas : parce que le patriarche ne vous servira de rien ; mais, employant une expression plus douce et en quelque sorte plus polie, il dit : « Car je vous déclare que Dieu peut faire naître de ces pierres même des enfants à Abraham (9). » Quelques-uns croient que ce prophète par cette métaphore, et ce mot de « pierres », a marqué la conversion des Gentils. Mais je crois qu’il y a encore un autre sens sous ces paroles. C’est comme si le prophète leur disait : Ne croyez pas, quand même vous péririez tous, que le saint patriarche demeure privé de postérité. Non, Dieu ne le souffrira pas, parce qu’il peut de ces pierres même faire naître des hommes qui seront fils d’Abraham. Aussi bien l’a-t-il déjà fait, car il n’est pas plus difficile de faire naître un homme d’une pierre que d’une mère stérile. C’est ce que le prophète insinue par ces paroles : « Regardez la pierre dure dont vous avez été taillés, et l’abîme de la fosse dont vous avez été tirés. Regardez Abraham votre père, et Sara qui vous a mis au monde. » (Is. 51,1) Saint Jean donc les fait souvenir ici de cette prophétie, et leur montre que si Dieu rendit autrefois Abraham père d’une manière aussi miraculeuse que s’il avait forcé les pierres à lui donner des enfants, il lui était facile d’opérer encore aujourd’hui le même prodige.
Mais considérez de quelle manière il cherche à les ébranler par la menace d’être un jour séparés de Dieu. Il ne dit point, de peur de les jeter dans le désespoir : Dieu a déjà suscité, mais « peut susciter. » Il ne dit pas seulement que Dieu peut de ces pierres « susciter des hommes ; mais ce qui est beaucoup plus, qu’il en peut faire naître des enfants à Abraham. » Vous voyez comme il essaye de les détacher de ces illusions dont ils se berçaient en songeant à leur filiation charnelle, ainsi qu’au crédit de leurs ancêtres auprès de Dieu, pour les amener à fonder toutes leurs espérances de salut sur le mérite personnel d’une sincère pénitence et d’une sainte vie ; vous voyez comme il donne l’exclusion à la parenté selon la chair, et fait prévaloir la parenté selon la foi.
3. Remarquez encore comme il augmente leur crainte et redouble leur terreur par les paroles qui suivent. En effet, il vient de dire : « Dieu peut de ces pierres même susciter des enfants à Abraham », et il ajoute : « Déjà la cognée est à la racine de l’arbre (10) ; » quoi de plus menaçant et de plus terrible ? L’austérité de sa vie lui donnait le droit de parler avec cette liberté ; d’ailleurs ceux à qui il s’adressait, avaient besoin d’être repris avec cette sévérité à cause de la dureté de cœur dans laquelle ils avaient si longtemps vécu. Non seulement, leur dit-il, vous serez désavoués pour fils d’Abraham, et retranchés de sa race, mais vous en verrez d’autres sortir des pierres même pour prendre votre place ; que dis-je ? là ne s’arrêtera pas votre punition : il y a un châtiment plus insupportable que vous subirez. « La cognée », leur dit-il, « est déjà mise à la racine de l’arbre. » Il n’y a rien de plus terrible que cette sorte d’expression. Car il ne les menace plus comme les prophètes autrefois, d’une faux volante, de la destruction d’une haie, et d’une vigne foulée aux pieds. Il les menace d’une hache tranchante, et ce qui est plus épouvantable, qui était prête à donner le coup. Comme ils étaient accoutumés à ne rien croire de ce que les prophètes leur prédisaient, et qu’ils répondaient hardiment à toutes leurs menaces : « Où est le jour du Seigneur, et que l’arrêt du saint d’Israël s’exécute, afin que nous en voyions la vérité (Is. 13,9) ; » parce que les malheurs qu’on leur prédisait n’arrivaient pour l’ordinaire qu’après une longue suite d’années, saint Jean jugea qu’il était nécessaire de les retirer de cet assoupissement, en leur représentant les maux dont il les menaçait, comme tout près de fondre sur eux. La cognée « est déjà » prête, dit-il : elle est déjà appliquée à la racine. Il n’y a rien entre deux : elle va couper non seulement les branchés ou les fruits, mais la racine même. Ainsi il leur témoigne que s’ils demeurent dans leur négligence, ils vont être frappés d’une plaie profonde, sans pouvoir espérer d’en guérir jamais. Comme s’il leur disait ;