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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/129

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J’ai entendu dire à nos pères (je ne désire pas que notre âge subisse cette épreuve, car il nous est défendu de désirer les tentations), qu’autrefois c’était au sein de la persécution que l’on pouvait voir de vrais chrétiens. Car nul alors ne s’inquiétait de fortune, de femme, d’enfants, de famille, de patrie ; tous n’avaient qu’un désir unique, le salut de leur âme. Ou se cachait, les uns, dans les tombeaux, dans les sépultures ; les autres, dans les solitudes. Et non seulement des hommes, mais des femmes tendres et délicates allaient y chercher une retraite pour y lutter sans cesse avec la faim. Eh bien, je vous le demande, pensait-elle beaucoup à la vie somptueuse, pensait-elle aux délices, aux plaisirs, cette femme cachée dans un tombeau, attendant la servante qui lui apportait son repas, ayant peur d’être prise, et demeurant dans ce tombeau comme dans un four ? Désirait-elle les délices de la vie ? Savait-elle seulement qu’il y a une vie délicieuse, qu’il y a un monde ? Ne comprenez-vous pas que si la persécution est terrible, c’est lorsque nos passions s’élancent Burnous comme des bêtes fauves ? C’est, n’en doutez pas, c’est lorsqu’on s’imagine qu’il n’y a pas de persécution ; c’est alors assurément que la persécution doit frapper d’épouvante. Et ce qui rend cette guerre redoutable entre toutes, c’est que l’on se croit en paix. Nous ne prenons pas les armes, nous ne sommes pas debout, pour repousser l’ennemi ; personne n’a peur, personne ne tremble. Si vous ne me croyez pas, demandez aux gentils, qui nous persécutent ; quand le christianisme était-il le plus prospère ? Quand les chrétiens se sont-ils couverts de plus de gloire ? C’est quand ils étaient en petit nombre. C’est qu’alors aussi les âmes étaient riches en vertus. Qu’importe, répondez-moi, l’abondance d’une herbe inutile, quand on peut la remplacer par des pierres précieuses ? Ce n’est pas la multitude, c’est l’éclat de la vertu qui seul a du prix. Élie était seul, mais le monde n’était pas digne de lui. Le monde renferme des milliers de milliers d’êtres, mais ces milliers d’êtres ne sont rien, puisque tous ces êtres ensemble n’en valent pas un. « Mieux vaut un seul homme faisant la volonté du Seigneur, que mille adonnés à l’injustice ». (Sir. 21,3) C’est ce qu’un sage insinue encore par ces paroles : « Ne désirez pas la multitude des fils inutiles ». (Id. 1) Ils servent uniquement à provoquer contre Dieu plus de blasphèmes que s’ils n’étaient pas chrétiens : Qu’ai-je besoin de la multitude ? aliment plus considérable pour le feu de l’enfer. Vous apprendriez de votre corps la même vérité, il vous dirait que mieux vaut une nourriture modérée, et la santé, que des mets délicats, et la maladie. La première nourriture est préférable à l’autre ; la première est une nourriture, l’autre est un poison. La guerre encore enseignerait la même chose, savoir : que mieux vaut une dizaine d’hommes résolus, et expérimentés, que des milliers de gens ne sachant rien faire. Ceux-ci, non seulement ne combattent pas, ils gênent les combattants. La navigation vous dit encore : mieux vaut n’être que deux matelots habiles, qu’une foule innombrable sans habileté. Cette troupe innombrable fera sombrer le navire.
4. Ce que j’en dis, ce n’est pas par aversion contre vous, contre ce peuple innombrable, mais je voudrais vous voir tous hommes, d’une vertu éprouvée, et vous défiant du grand nombre. Bien plus nombreux sont ceux qui tombent dans la géhenne, mais plus grande est la royauté du ciel, quoiqu’elle ait peu d’élus. La multitude du peule juif était comme le sable de la mer. Il n’y eut qu’un seul homme, pour sauver tout ce peuple : Le seul Moïse était plus puissant que tous les Juifs ; le seul Jésus était plus puissant que tant de milliers. Inquiétons-nous moins de rassembler des chrétiens nombreux, que des chrétiens véritables. Ayons de bons chrétiens et le grand nombre viendra aussi. Il n’est personne qui veuille tout de suite rendre sa demeure spacieuse ; on la veut d’abord solide et bien éprouvée ; ensuite on la rend spacieuse. Nul ne jette des fondations de manière à se rendre ridicule. Cherchons d’abord ce qui doit venir en premier lieu ; le reste viendra plus tard. Si nous réussissons d’abord, nous réussirons aussi après ; si nous n’avons pas d’abord ce qu’il nous faut, ce qui vient ensuite est inutile. Que l’Église possède ceux qui peuvent être sa gloire ; elle aura bien vite, en outre, la multitude. S’il lui manque des chrétiens dignes de la glorifier, jamais la multitude ne la glorifiera.
Combien y en a-t-il, suivant vous, dans notre ville qui obtiendront leur salut ? Les paroles que je vais faire entendre sont pénibles, toutefois je les dirai : Parmi tant de