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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/162

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mieux, vous dira-t-on, l’enseigner en la pratiquant, car jamais l’enseignement borné aux paroles ne pénétrera l’esprit aussi bien que les actions. Si vous n’agissez pas, vous ne serez bon à rien, vous nuirez plutôt : mieux vaut se taire. Pourquoi cela ? Parce que vous me proposez quelque chose d’impossible. Réfléchissez que si vous ne faites rien de tout ce que vous dites, je suis bien plus excusable de n’en rien faire, moi qui ne dis rien. De là cette parole du prophète : « Dieu dit au pécheur : Pourquoi parles-tu de ma justice ? » (Ps. 49,16) Rien n’est donc plus nuisible que de voir un homme qui enseigne bien, mais dont la conduite contredit le langage : il en est résulté bien des maux pour l’Église. Aussi, excusez-moi, je vous prie, si je m’arrête là-dessus quelque temps. Bien des gens font tout ce qu’ils peuvent pour parvenir à parler longtemps devant la foule, et s’ils obtiennent les applaudissements du public, ils sont plus heureux que l’empereur : mais si leur discours se termine au milieu du silence, cet accueil froid et muet leur est plus pénible que l’enfer. Ce qui a bouleversé les églises, c’est que vous ne demandez point des discours qui vous remplissent de componction, mais qui vous charment par l’harmonie et l’arrangement des mots, comme si vous écoutiez des chanteurs et des musiciens ; et nous autres, nous prenons un soin ridicule et déplorable pour flatter vos goûts que nous devrions combattre.
4. Nous ressemblons à un père trop faible pour un enfant chétif, qui ne lui donnerait que des gâteaux, des friandises insignifiantes, ruais rien de nourrissant. Aux reproches des médecins, il répondrait : Que voulez-vous ? Je ne puis pas voir pleurer un enfant. Malheureux, insensé et traître, indigne du nom de père ! Ne valait-il pas mieux le chagriner un instant pour lui rendre la santé, que de lui donner ce plaisir éphémère qui doit causer une douleur continuelle. Voilà ce que nous faisons, nous aussi quand nous travaillons à faire un discours élégant, bien disposé, harmonieux, afin de plaire au lieu d’être utiles ; pour amuser, non pour toucher ; pour recueillir des éloges et des applaudissements, mais non pour corriger les mœurs.
Croyez-moi, car je sais ce qu’il en est quand on m’applaudit dans un discours, je sens que je suis homme (pourquoi n’avouerais-je pas la vérité?), je me réjouis, je m’exalte. Mais rentré chez moi, je songe que ceux qui m’ont applaudi n’ont rien gagné à m’entendre ; du moins, le peu de profit qu’ils en ont tiré s’est perdu avec le bruit des applaudissements : alors je me tourmente, je gémis et je pleure ; il me semble, dans mon découragement, que mes discours ne servent à rien, et je me dis à moi-même : à quoi bon toutes mes sueurs, si ceux qui m’écoutent ne veulent point profiter de mes paroles ?
Souvent j’ai songé à établir comme règle de défendre les applaudissements, et à vous persuader d’écouter en silence et dans une attitude convenable. Laissez-moi dire, je vous en prie, et croyez-moi : si vous y consentez, établissons dès à présent cette règle qu’il ne soit permis à personne d’interrompre l’orateur par des applaudissements. Si quelqu’un veut admirer, qu’il admire en silence : personne ne l’en empêchera, et tout ce qu’il a de zèle et d’ardeur sera mieux employé à retenir le discours. Pourquoi applaudissez-vous ? J’établis une règle là-dessus et vous ne pouvez pas l’observer, même en l’écoutant. Il en résultera une foule d’avantages, et notre sagesse en profitera beaucoup. Quand les philosophes païens parlaient, il n’y avait jamais d’applaudissements : pendant les prédications des apôtres jamais on n’a dit que l’auditoire les eut interrompus par des applaudissements. Cela sera un grand profit pour nous. Mais convenons bien de cela pour que les auditeurs restent tranquilles et l’orateur aussi. Quand même, après avoir applaudi, on retiendrait encore en s’en allant quelque chose de ce qu’on aurait entendu, cette manière d’approuver ferait toujours mauvais effet ; mais je n’insiste pas là-dessus, de crainte de paraître trop sévère. Enfin, puisque cette coutume ne peut être que nuisible, détruisons cet obstacle, supprimons ces élans et coupons court à ces emportements de l’âme. Le Christ parla sur la montagne, et tout le monde garda le silence jusqu’à la fin de son discours. Je ne prive de rien ceux qui aiment à applaudir ; au contraire, ils admireront davantage. Il vaut bien mieux écouter en silence, et pouvoir en tout temps, chez soi et ailleurs, applaudir par réflexion, que de rentrer sans rien rapporter et sans savoir pourquoi on a applaudi. Une pareille manière d’entendre n’est-elle pas ridicule ? n’est-ce pas à la fois une flatterie et une dérision que de