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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/168

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bientôt tous les ravages s’arrêteront. La colère n’a pas de force par elle-même, si mien ne la nourrit. Autrement, rien ne peut vous excuser. Cet homme a perdu la raison, il ne sait plus ce qu’il fait : vous qui le voyez, qui appréciez ce spectacle et qui n’en devenez pas plus sage quelle indulgence méritez-vous ? Celui qui, arrivant dans un festin, verrait dès le vestibule les inconvenances d’un homme ivre, puis ensuite tomberait aussi dans le même état, ne serait-il pas bien moins pardonnable après cet exemple ? Ici il en est de même. Ne croyons pas nous excuser, en disant : Je n’ai pas commencé. Ce qui nous accuse, c’est justement que la vue de notre adversaire ne nous a pas rendus plus sages. C’est comme si un meurtrier disait : D’autres ont frappé avant moi. Il en est d’autant plus coupable, s’il a vu commettre des assassinats, et s’il n’a pas eu horreur d’en commettre lui-même.
Après avoir vu un homme abattu et épuisé par l’ivresse, vomir, rouler des yeux hagards, souiller la table et faire fuir ses voisins, si vous tombez dans le même état, n’en serez-vous pas plus coupable ? Tel est aussi l’homme en colère : plus que celui qui vomit il a les veines gonflées, les yeux enflammés, le cœur agité : il vomit des paroles plus impures que les déjections de l’ivrogne et qui ne sont pas mieux digérées, car sa rage ne le permet pas. De même que chez l’un l’excès de liquide soulève l’estomac et en fait tout sortir ; de même chez l’autre, une ardeur excessive soulève l’âme et ne lui permet pas de cacher ce qu’il faudrait taire : ce qui est bon ou mauvais à dire s’échappe pêle-mêle et le salit plus que ceux qui l’entendent. Fuyons donc las gens en colère aussi bien que ceux qui vomissent. Que faut-il faire alors ? Jeter de la cendre sur le vomissement et appeler tout bas les chiens pour qu’ils le mangent. Je, sais que je vous dégoûte, mais je voudrais que vous vous fussiez dégoûtés en le voyant et que vous n’eussiez pas envie d’en rire. L’homme qui injurie est plus immonde que « le chien qui revient à son vomissement ». Je ne ferais pas cette comparaison s’il ne vomissait qu’une fois, mais puisqu’il rejette encore les mêmes infamies, il semble qu’il les ait avalées de nouveau. Qu’y a-t-il de plus abominable, de plus impur que cette bouche qui avale de pareilles choses ? Est-ce la nature qui l’y engage ? non sans doute, rien n’est plus contraire à la nature.
Pourquoi cela ? Parce qu’il n’est pas conforme, mais opposé à notre nature, d’injurier sans raison : ce n’est plus le langage d’un homme, mais celui d’une bête ou d’un fou. C’est une maladie qui répugne autant à notre nature qu’une maladie du corps. Or, si notre nature est obligée de supporter ce qui lui est contraire, elle se détruit peu à peu, tandis qu’elle subsiste si tout lui est conforme. J’aimerais mieux, me trouver à table près de quelqu’un qui mangerait de la boue que près d’un homme qui parlerait ainsi. Né voyez-vous pas les pourceaux manger des excréments ? On peut dire que ces gens-là en font autant. Quoi de, plus dégoûtant que leurs paroles injurieuses ? Ils n’ont garde dé prononcer un mot honnête et convenable, mais ils font et ils disent tout ce qu’il y a de honteux et d’indécent : ce qu’il y a de pis, c’est que le déshonneur qu’ils veulent jeter sur les autres rejaillit sur eux, et cette intention même prouve « ils se déshonorent. Je laisse de côté les calomnies : mais supposons qu’une courtisane célèbre ou tout autre personnage trop connu se dispute avec quelqu’un, et qu’on échange des injures mutuelles. De quel côté viennent les paroles offensantes ? On ne dit au premier que ce qui est su de tout le monde, et il n’en est pas de même pour le second : par conséquent, la réputation de l’un n’a rien à en craindre et celle de l’autre en souffre, beaucoup. Supposez encore qu’un homme ait commis des fautes cachées : connues seulement d’un homme grossier qui, après avoir gardé quelque temps le silence, finit par l’injurier ; eh bien ! l’offense retombe plutôt sur l’offenseur. Comment cela ? Il a divulgué une mauvaise action, et donné en même temps une mauvaise opinion de sa véracité : s’il y a eu un meurtre de commis, lui dira-t-on, il fallait tout dire. Aussi tout le monde se détourne de lui avec horreur comme si ce n’était pas un homme ; mais une bête sauvage et cruelle ; on est moins indulgent pour lui que pour celui qu’il accuse. Nous ressentons moins d’éloignement pour ceux qui ont des infirmités que pour celui qui les dévoile quand on voudrait les dissimuler. Celui-là n’offense pas seulement la personne dont il parle, cette offense rejaillit sur lui-même ainsi que sur l’humanité : il a blessé ceux qui l’écoutaient, il n’a donc fait que du mal. Paul dit à ce sujet : « Que vos discours soient bons et édifiants,