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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/197

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tête a besoin des pieds et les pieds de la tête. Dieu l’a voulu ainsi pour la société ; c’est nous qui ne voulons pas : et pourtant, même sans qu’il nous l’eût commandé, nous devrions avoir la charité. Ne voyez-vous pas que les païens eux-mêmes nous accusent quand ils vantent les avantages de l’amitié ? Les laïques ont besoin de nous, et, à notre tour, nous avons besoin des laïques. Ainsi, sans disciples et sans sujets, il n’y aurait ni maîtres ni souverains : que pourraient-ils faire ? De même encore la terre a besoin du laboureur et le laboureur de la terre. Quelle récompense aura le maître s’il n’a point de disciples à montrer ? Quelle récompense auront les disciples s’ils ne profitent pas d’un enseignement excellent ? Ainsi nous avons besoin les uns des autres : on n’est pas général sans soldats, souverain sans sujets, et même il en faut beaucoup. On ne peut rien faire par soi-même, ni des mains ni de l’intelligence : on est d’autant plus honoré qu’il y a plus de monde qui vous entoure. Par exemple, les pauvres ont besoin d’aumônes, et ceux qui font l’aumône ont besoin de pauvres qui la reçoivent. « Vous cous sidérant les uns les autres, afin de vous exciter mutuellement à la charité et aux bonnes œuvres ». (Héb. 10,24) Aussi la puissance collective de l’Église est considérable, et ce qui est impossible à chacun de ses membres devient possible à tous quand ils sont unis. Voilà ce qui prouve la nécessité des prières pour le monde entier, pour les destinées de l’Église, pour la paix, pour ceux qui souffrent. Et c’est ce que Paul montre en disant : « Afin que la grâce que nous avons reçue, en considération de plusieurs personnes, soit aussi reconnue parles actions de grâces que plusieurs en rendront pour nous » (2Cor. 1,11) ; c’est-à-dire, pour que beaucoup de personnes participent à cette grâce : aussi réclame-t-il souvent leurs prières. Voyez encore ce que Dieu dit aux habitants de Ninive : « Et moi je n’épargnerai pas cette ville où il y a plus de cent vingt mille hommes ». (Jn. 4,11) Il dit aussi : « Quand deux ou trois hommes sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux ». (Mt. 18,20) Si deux personnes ont cette puissance, un grand nombre ne l’aura-t-il pas davantage ? Une seule aurait quelque influence, mais beaucoup moins. Pourquoi restez-vous seul ? Pourquoi n’en attirez-vous pas d’autres ? Pourquoi ne propagez-vous pas la charité ? Pourquoi ne faites-vous pas naître l’amitié ? Vous manquez de ce qu’il y a de plus essentiel dans la vertu. Quand les méchants se réunissent ensemble, Dieu s’en irrite encore davantage, de même qu’il prend plaisir à voir les bons s’unir entre eux. « Ne vous réunissez pas pour faire le mal », dit-il, (Ex. 23,2), « tous se sont égarés, tous ensemble sont inutiles » (Ps. 13,3), et leur perversité les fait presque chanter de joie.
Recherchez des amis plutôt que des serviteurs, plutôt que toute autre chose. Si vous êtes un homme de paix, vous êtes un fils de Dieu ; à plus forte raison si vous faites des amis. Celui qui réconcilie obtient le nom de fils de Dieu ; quel nom mérite celui qui rend amis ceux qu’il a réconciliés ? Chargeons-nous de cette négociation, tâchons que les ennemis deviennent amis et que les indifférents se réunissent, mais commençons par nous-mêmes. Celui chez qui la concorde n’habite pas, et qui se dispute avec sa femme, n’inspirera pas de confiance s’il veut réconcilier les autres ; et de même qu’il est dit : « Médecin, guéris-toi toi-même » (Lc. 4,23), on lui en dira autant. Quelle hostilité trouvons-nous en nous-mêmes ? Celle de l’âme et du corps, du vice et de la vertu. Terminons cette guerre, soyons vainqueurs dans ce combat ; alors, en paix avec nous-mêmes, nous parlerons aux autres avec une assurance entière, sans que notre conscience nous reproche rien. La colère lutte avec la douceur, l’amour des richesses avec le désintéressement, la jalousie avec la bonté. Terminons cette guerre, triomphons de ces ennemis, dressons des trophées de notre victoire et rétablissons la paix dans notre état. Notre âme, en effet, c’est un état, c’est un gouvernement où se trouvent bien des citoyens et des étrangers, mais renvoyons les étrangers pour qu’ils ne corrompent point les citoyens. Ne souffrons aucune idée étrangère ou altérée, aucune pensée de la chair. Ne voyons-nous pas que, si un ennemi est surpris dans une ville, on le juge comme un espion ? Ainsi renvoyons les étrangers et même exterminons les ennemis. Si nous en surprenons un, livrons à l’intelligence qui nous gouverne cette pensée barbare et qui n’appartient à la cité que par les apparences. Nous avons beaucoup de ces pensées qui sont nos ennemies par leur nature, mais qui sont couvertes d’une peau de brebis. C’est ainsi que