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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/204

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médecins ne permirent pas ce déplacement, étant dévoré par la fièvre, eut l’idée de se gargariser, croyant qu’il apaiserait la fièvre par ce moyen et en ne prenant aucun aliment. C’était une idée d’enfant, aussi cette obstination mal placée ne lui fit-elle aucun bien. Lorsqu’enfin il se trouva à la ville, sa langue était paralysée et il resta longtemps sans parler, au point de ne rien pouvoir articuler ; cependant il lisait et prit des leçons pendant longtemps, mais cela ne l’avançait à rien. Il avait perdu toute espérance et sa mère était désolée. Les médecins faisaient des consultations de toutes espèces, sans aucun résultat ; enfin le bon Dieu rompit le lien de sa langue et il parla avec autant de facilité qu’autrefois. Sa mère racontait aussi que, lorsqu’il était petit, il avait eu dans le nez ce qu’on appelle un polype ; les médecins en avaient aussi désespéré ; sa mère était réduite à désirer sa mort, et son père (qui existait encore) ; le croyait également perdu ; en un mot, c’était une anxiété générale. Mais le mouvement violent d’un accès de toux chassa cette excroissance maladive, et tous les accidents cessèrent. Néanmoins, après qu’il fut guéri, il lui tomba sur les yeux une fluxion d’une humeur âcre et visqueuse qui produisait une chassie tellement épaisse, que les yeux en étaient fermés : le plus grave était la crainte qu’il ne restât aveugle, comme tout le monde le prévoyait. Cependant, par la grâce de Dieu, il fut encore délivré promptement de cette maladie.
Voilà ce que j’ai entendu dire ; je vais maintenant vous raconter ce que je sais par moi-même. À l’époque où j’étais très-jeune, les tyrans qui gouvernaient notre ville conçurent des soupçons : l’extérieur des remparts était garni de soldats pour tâcher de saisir des livres de sorcellerie et de magie. Celui qui avait écrit cet ouvrage et qui l’avait jeté, à peine terminé, dans la rivière, fut arrêté : on lui demanda son livre qu’il ne put donner, et on le fit passer dans la ville tout couvert de chaînes. Après avoir recueilli des preuves de sa culpabilité, on le punit ; pendant ce temps, comme j’allais à l’église des martyrs, je passais près des jardins sur la rivière, avec un camarade. Celui-ci, voyant un livre qui flottait, le prit d’abord pour un linge ; il s’approcha, reconnut que c’était un livre et descendit pour le prendre. Moi, je taquinais mon camarade, et, en plaisantant, je réclamais ma part de l’épave.
Mais, dit-il, voyons ce que c’est ; et, en tournant un coin de la page, il vit des figures de magie. Au même instant un soldat vint à passer. Mon ami cacha le livre, il tremblait de peur. Qui aurait cru que nous l’avions retiré du fleuve, tandis que l’on arrêtait une foule de gens, même sans qu’ils fussent suspectés ? Nous n’osions le jeter, de peur d’être aperçus, et nous redoutions également de le déchirer. Enfin, avec l’aide de Dieu, nous réussîmes à le jeter, et nous fûmes sauvés du danger le plus terrible.
Je pourrais, si je le voulais, vous citer une foule d’exemples, mais je vous ai dit ces faits afin que vous en profitiez et pour que, si l’un de vous est exposé à des accidents, non pas identiques, mais analogues, il ne les oublie jamais. Par exemple, si une pierre lancée droit contre vous ne vous atteint pas, gardez-en toujours un souvenir, qui sera très-agréable à Dieu. Quand nous nous rappelons les hommes qui ont pu nous sauver la vie, nous sommes affligés d’être incapables de rien faire pour eux : nous devrions, à plus forte raison, avoir le même sentiment à propos de Dieu. Il en résulte encore un autre avantage : Si nous sommes portés au désespoir, disons-nous : « puisque nous recevons le bien de la part du Seigneur, ne devons-nous pas aussi en accepter le mal ? » (Job. 2,10) Jacob avait la même pensée quand il disait : « L’ange qui m’a arraché au mal depuis ma jeunesse[1]». (Gen. 48,16) Réfléchissons, non seulement que nous avons été arrachés au mal, mais rappelons-nous comment et dans quelles circonstances. Voyez comme Jacob se rappelle chaque bienfait en particulier : « J’ai passé le Jourdain avec mon bâton ». (Gen. 32,10) Les Juifs gardaient constamment le souvenir de ce qui était arrivé à leurs ancêtres, et parlaient sans cesse de leurs aventures d’Égypte. Et nous aussi, à plus forte raison, rappelons-nous ce qui nous est arrivé quand nous sommes tombés dans l’inquiétude et le malheur, et reconnaissons que si Dieu ne nous avait tendu la main, nous aurions péri depuis longtemps. Songeons-y tous et pensons-y chaque jour, rendons à Dieu de continuelles actions de grâces, rapportons tout à sa gloire et ne cessons de le célébrer, afin d’être récompensés de notre reconnaissance, par la grâce et la miséricorde

  1. La Vulgate porte : A regelus qui erint me de cunctis malis.