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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/24

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simplicité n’est-elle pas inséparable de la prudence ? Vous ne soupçonnez pas le mal ; vous ne le commettez donc point : vous ne vous offensez de rien ; pourriez-vous donc conserver le souvenir d’une injure ? on a cherché à vous humilier et vous n’en avez eu aucun ressentiment ; on a parlé contre vous, et vous n’y avez fait aucune attention ; on vous jalouse, et vous restez calme et impassible. La simplicité nous conduit ainsi à la vraie sagesse ; et l’âme n’est jamais plus belle que quand elle est simple. Et en effet le chagrin, l’accablement et le vague des pensées altèrent la beauté du visage, tandis que la joie et le sourire en augmentent les charmes ; et de même un esprit fourbe et menteur corrompt toutes les bonnes qualités qu’il possède, au lieu qu’un esprit simple et franc les pare et les embellit. Avec un tel homme l’amitié est fidèle, et une réconciliation devient facile. Il ne faut pour cela ni chaînes, ni prison, et la plus grande sécurité règne entre lui et ses amis.
Mais qu’arrivera-t-il, direz-vous, si ce juste tombe entre les mains des méchants ? Le Seigneur, qui nous commande d’être simples, nous tend une main protectrice. Qui se montra plus simple que David et plus rusé que Saül ? Et néanmoins qui fut vainqueur ? Que n’eut pas à souffrir Joseph ? Il agissait envers sa maîtresse en toute simplicité : et celle-ci usait de ruse à son égard : mais en devint-il la victime ? Qui fut plus simple qu’Abel, et plus méchant que Caïn ? Et pour en revenir à Joseph, ne se conduisit-il pas toujours envers ses frères avec une entière simplicité ? et le rang élevé où il parvint, n’eut-il point pour principe la franchise de ses paroles et la malignité de ses frères ? Il leur avait raconté ses deux songes, et sans aucune défiance de sa part, il leur apportait des vivres, se confiant pour toutes choses au Seigneur. C’est ainsi que plus ils le regardaient comme un ennemi, et plus il les traitait comme des frères. Sans doute Dieu pouvait empêcher qu’il ne tombât entre leurs mains ; mais il le permit pour faire éclater la vertu de Joseph, et montrer qu’il triompherait de tous leurs mauvais desseins.
Concluons que si le juste est quelquefois éprouvé, le coup vient des autres et non de lui-même. Le méchant, au contraire, se blesse le premier et n’atteint point son adversaire, en en sorte qu’il est son propre ennemi. Son âme est toujours pleine d’un noir chagrin, et ses pensées troublées et confuses. Il ne saurait rien entendre, ni rien dire qu’il ne tourne tout en mal, et qu’il ne critique tout. Entre des hommes de ce caractère, l’amitié et l’union sont impossibles ; ils ne savent que se disputer, se haïr et se contrarier ; bien plus, ils se suspectent les uns les autres, ils ne connaissent ni les douceurs du sommeil, ni celles de la vie ; et s’ils sont mariés, hélas ! hélas ! ils n’aiment personne, et détestent tout le monde. Enfin mille jalousies les consument, et une crainte continuelle les agite. Aussi disons-nous que « mauvais » dérive de « mal » ; et en effet, l’Écriture joint toujours ces deux mots : « Le mal et le travail », dit-elle, « résident sous la langue des mauvais » ; et encore : « Il ne reste aux mauvais que le mal et la douleur ». (Ps. 9,7 ; 89, 10).
Et maintenant si l’on s’étonne que les chrétiens aient été si parfaits au commencement, lorsqu’aujourd’hui on les voit si imparfaits, je répondrai que cette perfection reposait sur le principe de la pauvreté volontaire, et que cette pauvreté était pour eux l’oracle de la sagesse et la mère de la piété ; car en se dépouillant de leurs biens, ils tarissaient la source de toute iniquité. Je l’avoue, me direz-vous ; mais, souffrez que je vous le demande : pourquoi tant de vices parmi nous ? À la parole des apôtres, trois mille hommes d’abord, et puis cinq mille embrassèrent soudain la vertu, et devinrent véritablement philosophes, tandis qu’aujourd’hui à peine ces premiers chrétiens comptent-ils un imitateur. D’où vient encore, qu’ils étaient si unis ensemble ? si prompts et si agiles au service de Dieu ? et quel feu sacré les embrasait ? C’est qu’ils se convertissaient sincèrement, qu’ils ne recherchaient pas les – honneurs comme on le fait aujourd’hui, et que, dégagés de toute affection terrestre, ils élevaient leurs pensées vers les biens célestes. Le propre d’une âme ardente est de se plaire dans les souffrances, et c’est en cela que ces premiers fidèles faisaient consister le christianisme. Nous, au contraire, nous ne recherchons qu’une vie molle et délicate. Aussi dans l’occasion, combien nous sommes loin de les imiter ! Ils disaient, en s’accusant eux-mêmes : « Que ferons-nous » ? Nous disons également : que ferons-nous ? mais dans un sens tout contraire, car nous nous vendons au monde, et nous nous estimons profondément sages. Ils accomplissaient