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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/258

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Le prodigue n’est pas magnanime. En effet, comment celui qui est le jouet de mille passions pourrait-il avoir l’âme grande ? La prodigalité n’est pas le mépris des richesses, mais la sujétion à d’autres passions. Comme celui qui est forcé d’obéir à des voleurs n’est pas libre, ainsi la profusion ne naît pas du mépris des richesses, mais de l’ignorance où l’on est de l’art de bien régler sa dépense. En effet, si le prodigue pouvait garder sa fortune et en jouir, certainement il le voudrait faire. Celui qui emploie ses biens convenablement, celui-là est magnanime ; cette âme est vraiment grande, en effet,qui n’est point asservie à la passion, et compte pour rien les richesses. – De même l’économie est bonne ; et le meilleur économe est celui qui dépense utilement sa, fortune et ne la répand pas au hasard. La parcimonie n’est pas cela. L’économe dépense toujours convenablement ; l’avare, au contraire, même en cas d’urgente nécessité, ne donne pas son argent. L’économe serait donc frère de l’homme magnanime. Nous placerons donc ensemble le magnanime et l’économe, ainsi que le prodigue avec l’avare : tous les deux, en effet, souffrent de la pusillanimité, comme les deux premiers participent à la grandeur d’âme. N’appelons donc pas magnanime celui qui dépense au hasard, mais bien celui qui dépense à propos ; ni économe l’homme avare et sordide ; mais bien celui qui épargne à-propos son argent. Combien le riche vêtu de pourpre et d’or ne dépensait-il pas d’argent ? Cependant il n’était pas magnanime, car son âme était retenue captive parla dureté du cœur et mille voluptés. Comment une telle âme serait-elle grande ? Abraham était magnanime, lui qui dépensait pour donner l’hospitalité aux étrangers, tuait le veau ; et qui, quand il était besoin, n’épargnait ni son argent, ni sa vie elle-même. Lors donc que nous voyons quelqu’un dresser une table abondante, avoir des courtisanes et des parasites, né l’appelons pas un homme magnanime, mais plutôt disons que c’est un petit esprit. Voyez, en effet, de combien de passions il est le serviteur et l’esclave : la gourmandise, l’absurde volupté, l’adulation ; retenu qu’il est par de telles passions, réduit qu’il est par elles à l’impossibilité de fuir, comment l’appellerait-on une grande âme ? Aussi l’appellerons-nous plutôt un homme pusillanime ; en effet, plus il dépense sa fortune, plus la tyrannie qu’exercent sur lui les, passions est manifeste ; car si elles ne lui commandaient pas si impérieusement, il ne ferait pas tant de dépenses.
Enfin, si nous considérons un homme qui ne dépense rien ; pour aucune de ces choses, mais qui nourrisse les pauvres, secoure ceux qui sont dans le, besoin, et dresse pour soi-même urge table frugale, nous l’appellerons un homme tout à fait magnanime. Il est, en effet, d’une grande âme, tout en négligeant son propre repos, de s’occuper de celui des autres. Dites-moi, en effet, si vous voyiez quelqu’un gui, au mépris de tous lés tyrans, et ne tenant aucun compte de leurs ordres ; arrachât de leurs mains ceux qu’ils oppriment et qu’ils font souffrir, ne penseriez-vous pas que cette conduite a de la, noblesse et de la grandeur ? Pensez donc de même en ce cas présent. Les passions sont un tyran ; si nous les méprisons, nous serons grands ; si nous en retirons les autres ; nous serons beaucoup plus grands encore, et cela à bon droit. En effet, ceux qui suffisent, non seulement à eux-mêmes, mais encore aux autres, sont plus grands que ceux qui ne font ni l’un ni l’autre. Si au contraire quelqu’un, sur l’ordre d’un tyran, frappe l’un des inférieurs, en déchire un autre, en accable un autre d’affronts, dirons-nous que ce soit là de la grandeur d’âme ? Non certes, nous le dirons d’autant moins qu’il sera plus haut placé. Ainsi en est-il de nous. Voici que nous avons en nous une âme noble et libre, le prodigue a ordonné de frapper cette âme par les mauvaises passions ; dirons-nous que celui qui la frappe ainsi soit un grand cœur ? Nullement. Apprenons donc ce que c’est que la magnanimité et la prodigalité, l’économie et la sordide avarice, la mansuétude et la mollesse, la liberté de parole et l’audace ; afin que, les discernant entre elles, nous puissions passer la vie présente d’une manière agréable au Seigneur ; et acquérir les biens à venir, par la grâce et la miséricorde du Fils unique, avec qui appartiennent, au Père, au Fils et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.