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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/268

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de moi, à ce propos, ni attroupement, ni tumulte ; et d’ailleurs, après enquête faite à ce sujet, on n’a pas trouvé autre chose dans ma conduite. – Avez-vous remarqué sa mansuétude au sein des périls ? avez-vous remarqué la modération de son langage, et comme il n’a d’autre but que de détruire les accusations dirigées contre lui, sans les accuser à son tour, ne se justifiant qu’autant qu’il y est forcé ? Il agit ainsi à l’exemple du Christ qui disait : « Je ne suis pas possédé du démon, mais j’honore mon Père, et vous, vous m’avez déshonoré ». (Jn. 8,49) Et nous, imitons Paul, puisqu’il a été lui-même l’imitateur du Christ. Si Paul n’a eu aucune parole dure pour ceux qui en étaient venus à son égard jusqu’à vouloir le faire mourir, comment, nous, pourrions-nous mériter notre pardon, si nous nous laissons emporter jusqu’aux injures et aux outrages, en appelant nos ennemis des scélérats, des infâmes ? Comment pourrions-nous nous excuser même d’avoir des ennemis ? Ne comprenez-vous pas que celui qui honore les autres s’honore lui-même ? Mais nous, tout au contraire, nous nous outrageons nous-mêmes. Tu accuses, parce que tu as été outragé ! Pourquoi tombes-tu toi-même dans la même faute ? Pourquoi te blesses-tu toi-même ? Reste impassible, reste invulnérable, de peur qu’en voulant frapper autrui, tu ne te précipites toi-même dans le malheur. N’avons-nous pas assez de ces tempêtes de l’âme qui se soulèvent dans ses profondeurs sans que personne les excite, je veux dire nos désirs insensés, nos folles tristesses, nos abattements, et tant d’autres mouvements désordonnés ? faut-il encore que nous y accumulions comme à plaisir d’autres orages ?
Mais comment est-il possible, dites-vous, de supporter cet outrage ? – Comment, vous demanderai-je à mon tour, comment n’est-ce pas possible ? Est-ce que les mots peuvent nous blesser ? est-ce qu’il en reste sur notre corps des meurtrissures ? Quel est donc le mal qu’ils nous font ? Si nous le voulons, nais pouvons les supporter. Imposons-nous la loi de ne pas souffrir de leur atteinte, et nous les supporterons. Disons-nous à nous-mêmes. Ceci n’est pas l’effet de la haine qu’on nous porte, c’est plutôt l’effet d’une sorte d’infirmité. Et ce qui prouve que ce n’est ni l’effet de la haine, ni l’effet de la méchanceté, c’est que notre ennemi voulait se contenir, bien qu’on ait eu mille fois tort envers lui. Si nous nous contentons de faire cette réflexion que l’outrage provient d’une sorte d’infirmité, nous le supporterons, nous pardonnerons à celui qui nous a outragés, et nous nous efforcerons de ne pas tomber nous-mêmes dans ce défaut. Si je demande à tous ceux qui m’écoutent : Ne pourriez-vous pas, si vous le vouliez bien, avoir assez de philosophie pour supporter les outrages ? chacun répondra : Pour moi, du moins, je le crois ainsi. Eh bien donc, lui dirai-je, si quelqu’un t’a offensé malgré lui, sans le vouloir, et comme poussé par la passion, possède-toi. Ne vois-tu pas les démoniaques ? C’est bien moins une violente inimitié, qu’une sorte d’infirmité, qui met certaines personnes dans cet état. Il en est ainsi de nous ; c’est en nous-mêmes, ce n’est pas dans la nature même des injures, que se trouve la cause de notre émotion. Comment se fait-il, en effet, que nous supportons les mêmes outrages de la part d’un fou ? Et si ceux qui nous outragent sont des amis ou des supérieurs, nous supportons également leurs outrages. Mais quelle absurdité n’est-ce pas d’endurer ainsi ce qui nous vient de nos amis, des fous et des supérieurs, et de ne pas endurer ce qui nous vient de nos égaux ou de nos inférieurs ? Je l’ai déjà dit bien des fois : il s’agit, d’une chose qui ne dure qu’un instant, et que l’instant d’après voit s’évanouir ; un peu de patience, et tout est dit. Plus l’outrage est grave, plus est grande l’infirmité de celui qui outrage. Sais-tu dans quel cas il faut se chagriner ? Lorsque, à nos outrages, un autre n’appose que le silence. Car alors c’est lui qui est fort, et c’est nous qui sommes faibles ; mais si c’est le contraire qui arrive, non seulement il ne faut pas s’en chagriner, mais il faut même s’en réjouir. Tu as été couronné, tuas été proclamé vainqueur, sans que tu aies eu besoin de descendre dans l’arène. Tu n’as été incommodé ni par l’ardeur du soleil, ni par la poussière ; tu n’as pas eu à en venir aux mains, tu n’as eu qu’à vouloir : et assis ou debout, tu as reçu une belle couronne, une couronne plus belle que toutes celles qu’on décerne aux athlètes, car il est plus méritoire de triompher des traits de la colère que de frapper un ennemi qui vous attaque. Tu as vaincu, sans même avoir engagé la lutte ; tu n’as eu qu’à dompter la passion qui était en toi, égorgeant ainsi la bête irritée, ou, pour mieux dire, la muselant au moment où elle entrait en fureur,