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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/309

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ARGUMENT DE LA PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Corinthe, qui est aujourd’hui la première ville de la Grèce, était déjà, dans les temps antiques, comblée de tous les avantages qui font l’agrément de la vie ; elle avait surtout plus de richesses qu’aucune autre cité : aussi un auteur profane lui a-t-il donné l’épithète d’ άφνειὸν, c’est-à-dire riche[1]. Elle est située sur l’isthme du Péloponèse, position qui lui assura toujours une grande prospérité commerciale. Cette ville était aussi remplie de rhéteurs et de philosophes, et l’un des sept sages en était citoyen[2]. Je ne dis point ces choses par ostentation, ni pour faire montre d’érudition (que sert-il de savoir ces choses ?) ; je les dis parce qu’elles se rapportent à mon sujet. Paul souffrit beaucoup dans cette ville ; Jésus-Christ s’y montra à lui, et lui dit « Ne te tais point, mais parle, parce qu’un peuple nombreux m’appartient dans cette ville ». (Act. 18,9-10) L’apôtre y demeura deux ans. C’est là qu’un démon maltraita les exorcistes juifs ; c’est là que furent brûlés ces livres de magie, en si grand nombre qu’on en évalua le prix à cinquante mille deniers. C’est là que Paul fut frappé devant le tribunal du proconsul Gallion[3].
Lorsque le démon vit que la vérité pénétrait dans cette grande et populeuse cité, dans cette ville également célèbre et par son opulence et par sa sagesse, et qui était la capitale de la Grèce, depuis que la puissance de Sparte et d’Athènes était tombée, dès que le démon, dis-je, vit que les Corinthiens recevaient la parole de Dieu avec un grand empressement, que fit-il ? Il divisa les esprits. Il n’ignorait pas qu’un royaume, même le plus fort, ne peut se soutenir s’il est divisé contre lui-même. Il avait pour l’aider dans ce piège qu’il s’agissait pour lui de dresser, l’opulence et la sagesse mondaine des habitants. Ceux-ci se divisèrent donc en factions, et quelques individus, s’érigeant eux-mêmes comme chefs, se mirent à la tête de la multitude. Les uns se rangeaient derrière celui-ci, les autres derrière celui-là ; la fortune donnait des disciples à l’un, le savoir en donnait à l’autre. Les nouveaux docteurs se vantaient même à leurs adeptes d’avoir à leur enseigner quelque chose de plus que l’Apôtre. C’est à cette prétention que l’Apôtre fait allusion, lorsqu’il dit : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels ». (1Cor. 3,1) Évidemment, si l’enseignement n’a pas été plus complet, c’est la faute de la faiblesse des Corinthiens et non de l’impuissance de Paul ; c’est ce qu’il veut donner à entendre par cette parole : « Vous vous êtes enrichis sans nous ». (1Cor. 4,8)
Ce n’était pas peu de chose que de déchirer l’Église ; rien ne pouvait être plus funeste. Ce n’était pas tout, un autre crime se commettait encore en cette ville : quelqu’un d’entre les frères

  1. Άφνειὸν τε Κόρινθον, dit Homère, Iliade, B, v. 570. Et après lui Thucydide, 1,13, remarque que Corinthe dut ce nom à son opulence. Ce passage d’Homère est cité par Strabon, liv. VIII.
  2. Périandre.
  3. Voir la préface.