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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/347

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ne connaît pas les lettres) ; tandis que celui qui sait lire trouvera dans les lettres une grande signification, des vies entières, des histoires ; et comme l’ignorant, tenant une lettre, n’y voit que du papier et de l’encre, tandis que l’homme instruit entend la voix de celui qui lui écrit, converse avec lui quoique absent, et lui répond par lettre tout ce qu’il lui plaît ; ainsi en est-il par rapport au mystère ; les infidèles tout en entendant paraissent ne pas entendre ; tandis que les fidèles, instruits par l’Esprit, en saisissent le sens caché. C’est ce que Paul exprime quand il dit : « Que si notre Évangile est aussi voilé, c’est pour ceux qui périssent qu’il est voilé ». (2Cor. 4,3) Ailleurs il fait voir ce que la prédication renferme de paradoxal ; c’est le nom que l’Écriture donne ordinairement à ce qui arrive contre toute espérance, ou dépasse l’esprit humain. Aussi est-il écrit quelque part : « Mon mystère est à moi et aux miens ». (Is. 24,7) Et Paul dit à son tour : « Voici que je vais vous dire un mystère : tous nous ne nous endormirons pas, mais nous serons tous changés[1] ».
Bien qu’on prêche cela partout, c’est encore un mystère. En effet, pendant qu’on nous ordonne de prêcher sur les toits ce que l’on nous a dit à l’oreille, on nous défend de donner les choses saintes aux chiens et de jeter les perles devant les pourceaux. Les uns sont charnels et ne comprennent pas ; les autres ont un voile sur le cœur et ne voient pas. Or il y a là un très grand mystère qui est prêché partout, et n’est compris que de ceux qui ont le cœur droit ; et ce n’est pas la sagesse humaine, mais l’Esprit-Saint qui nous le révèle, autant que nous en sommes capables. On ne se tromperait donc pas en appelant ce second mystère, secret ; car nous-mêmes, les fidèles, nous n’en avons pas une entière perception ni une parfaite connaissance. Aussi Paul dit-il : « C’est imparfaitement que nous connaissons, et imparfaitement que nous prophétisons. Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme ; mais alors nous verrons face à face ». (1Cor. 13,9-12) Et encore : « Nous prêchons la sagesse de Dieu dans le mystère ; sagesse qui a été cachée, que Dieu a prédestinée avant les siècles pour notre gloire ». « Qui a été cachée », c’est-à-dire qu’aucune des puissances célestes n’a apprise avant nous ; ou encore, que beaucoup ignorent, même aujourd’hui. Car c’est ce que signifient ces mots « Que Dieu a prédestinée pour notre gloire », bien qu’ailleurs il dise : « pour sa gloire ». (Eph. 1, 12) Mais Dieu regarde notre salut comme sa propre gloire, comme il l’appelle encore des richesses, quoiqu’il soit lui-même la richesse des bons et n’ait besoin de personne pour être riche. « Qu’il a prédestinée » ; indiquant par là la conduite de la Providence à notre égard. Car ceux-là sont surtout censés nous honorer et nous aimer, qui sont depuis longtemps disposés à nous faire du bien, comme font les pères avec leurs enfants ; par exemple, s’ils ne leur transfèrent que plus tard leur fortune, ils en ont cependant eu la volonté depuis longtemps et dès le commencement.
C’est ce que Paul s’efforce de prouver, à savoir que Dieu nous a aimés depuis longtemps, avant même que nous fussions nés. Car s’il ne nous eût pas aimés, il ne nous aurait point prédestiné la richesse. N’objectez donc pas l’inimitié qui est survenue depuis ; l’amitié l’avait précédée. En effet, ces mots : « Avant les siècles », signifient l’éternité, puisqu’il est dit ailleurs : « Celui qui est avant les siècles ». Ainsi le Fils même est déclaré éternel. Car on dit de lui : « Par qui il a fait même les siècles ». (Héb. 1,2) Ce qui veut dire qu’il était avant les siècles, puisque l’ouvrier existe avant son ouvrage. « Qu’aucun prince de ce siècle n’a connu ; car s’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de la gloire ». – On ne pouvait donc les accuser, puisqu’ils avaient crucifié le Christ sans le connaître. – Mais s’ils ne l’ont pas connu, comment le Christ a-t-il pu dire : « Vous me connaissez et vous savez d’où je suis ? » (Jn. 7,28) Car l’Écriture dit de Pilate qu’il ne le connaissait pas ; et il est probable qu’il en était de même d’Hérode : On pourrait les appeler des princes du siècle. Et celui qui prétendrait que ce passage s’applique aux Juifs et aux prêtres, ne se tromperait pas, puisque le Christ leur dit : « Vous ne connaissez ni moi, ni mon père ». (Jn. 8,19) Comment donc a-t-il dit plus haut : et Vous me connaissez, et vous savez « d’où je suis ? » Mais nous avons déjà expliqué ces deux modes de langage à propos des

  1. La Vulgate porte : nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés. Ces deux textes subsistent tous deux, ils ne s’excluent point, loin de là, ils disent la même chose, et la contradiction n’est qu’apparente.