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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/366

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perd tout ; il est hideux à voir, odieux et lourd à porter. Si un peintre le représentait, il ne serait, je crois, pas loin de la vérité, en lui donnant les traits d’une femme, ayant la forme d’une bête sauvage, barbare, respirant le feu, laide, noire, telle que les poètes païens nous dépeignent Scylla. Car il saisit nos pensées par des mains sans nombre, attaque à l’improviste et déchire tout, comme les chiens qui mordent à la dérobée. Mais à quoi bon le peindre lui-même, quand nous pouvons faire paraître ses victimes ? Laquelle décrions-nous d’abord ? L’avare ? Qu’y a-t-il de plus impudent que ce regard ? Qu’y a-t-il de plus déshonnête et de plus cynique ? Un chien n’est pas aussi insolent que ce ravisseur du bien d’autrui. Quoi de plus abominable que ses mains ? Quoi de plus avide que, cette bouche qui avale tout sans se rassasier ? Ne prenez pas ses traits, ses yeux pour ceux d’un homme ; ce n’est pas là un regard humain. Pour lui, les hommes ne sont pas des hommes, le ciel n’est pas le ciel ; il n’a pas un signe de respect pour le Maître : l’argent est tout pour lui. Les yeux de l’homme ont l’habitude de se fixer sur ceux que la pauvreté afflige, et d’exprimer des sentiments de pitié ; ceux du voleur voient les pauvres et prennent une expression sauvage. Les yeux de l’homme ne considèrent pas le bien d’autrui comme le leur propre, mais leur bien propre comme celui d’autrui ; ils ne convoitent pas ce qui est donné aux autres, mais se dépouillent plutôt en leur faveur de ce qu’ils ont eux-mêmes ; ceux de l’avare, au contraire, ne sont point satisfaits qu’ils n’aient enlevé le bien de tout le monde ; car ils n’ont pas le regard de l’homme, mais celui de la bête fauve.
Les yeux de l’homme ne peuvent supporter de voir un pauvre nu, car le corps humain est le leur, bien qu’il appartienne à d’autres personnes ; mais ceux des avares ne sont jamais rassasiés, jamais assouvis, s’ils n’ont tout dépouillé et tout caché dans leur domicile. En sorte qu’on peut dire de leurs mains qu’elles n’appartiennent pas seulement à des bêtes fauves, mais aux bêtes fauves les plus féroces et les plus cruelles. En effet ; les ours et les loups laissent leur proie quand – ils sont rassasiés ; mais eux ne se rassasient jamais. Cependant Dieu nous a donné des mains pour secourir notre prochain, et non pour lui tendre des embûches. Il vaudrait mieux les couper et en être privé, que d’en faire un pareil usage. Vous souffririez de voir un loup déchirer une brebis ; et vous ne pensez pas commettre un grand crime en en faisant autant à votre frère ? Comment seriez-vous encore un homme ? Ne voyez-vous pas que nous appelons humaine, toute action qui respire la compassion et la bonté ? et que nous appelons inhumain, tout homme qui commet un acte de dureté et de cruauté ? La pitié est donc pour nous le cachet de la nature humaine, le défaut de pitié celui de l’animal sauvage. Aussi disons-nous : Est-ce un homme, ou un animal, ou un chien ? Les hommes, en effet, soulagent la pauvreté, au lieu de l’aggraver. La bouche des avares est une gueule de bêtes sauvages ; elle est même plus féroce : car elle prononce des paroles dont le venin, plus terrible que la dent des animaux, donne la mort. En poussant le tableau jusqu’au bout, on verrait clairement comment l’inhumanité rend les hommes qu’elle domine, semblables aux bêtes sauvages. À examiner même le fond de leur pensée, on les nommera moins des bêtes que des démons. Car ils sont pleins de cruauté et de haine pour leurs semblables ; on ne trouvera chez eux ni désir du ciel, ni crainte de l’enfer, ni respect pour les hommes, ni pitié, ni sympathie ; mais impudence, audace, mépris de l’avenir ; les paroles de Dieu relatives au châtiment leur semblent une fable, et ses menaces les font rire.. Telle est la pensée de l’avare.
Mais puisqu’au dedans ce sont des démons, au-dehors des bêtes sauvages, et pires que des bêtes sauvages, dites-moi : où les placerons-nous ? Or, qu’ils soient pires que des bêtes féroces, cela est évident : car celles-ci sont féroces par nature ; tandis qu’eux, naturellement portés à la douceur, ont forcé les lois dé la nature pour se transformer en bêtes fauves. Les démons ont pour auxiliaires les hommes qui se tendent à eux-mêmes des pièges ; et les démons verraient échouer tous leurs pièges, si les hommes ne secondaient leurs desseins. Les avares s’irritent même contre ceux qui veulent les aider à repousser les insultes des démons. De plus, le démon combat contre l’homme, mais non contre les autres démons ; l’avare vexe en tout sens ses parents, ses proches, et ne respecte point les lois de la nature. Je sais que mes paroles en blessent un grand nombre d’entre vous ; pour moi, je ne les hais pas, mais j’ai pitié de ceux