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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/371

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en usez avec inhumanité ; si vous dites : Il est juste que je me serve de ce que j’ai ; je dis que votre bien vous devient étranger. Car il est commun entre vous et votre frère, comme le soleil, l’air, la terre et tout le reste. Et comme dans le corps humain, le service est commun au corps entier et à chaque membre, et quand il se concentre sur un seul membre, il n’y atteint pas même son effet : ainsi en est-il de l’argent.
4. Rendons cela plus sensible par un exemple. Si la nourriture corporelle destinée à tous les membres se dirige vers un seul, elle lui devient étrangère, puisqu’elle ne peut être digérée, ni le nourrir ; si, au contraire, elle se répartit entre tous les membres, elle lui devient propre comme à tous les autres. De même, si vous jouissez seul de vos richesses, vous les perdrez : car vous n’en recevrez pas la récompense ; mais si vous les partagez avec les autres, alors elles seront vraiment à vous, et vous en retirerez du profit ! Ne voyez-vous pas que les mains présentent la nourriture, que la bouche la triture, que l’estomac la reçoit ? L’estomac dit-il : Comme je l’ai reçue, je dois la retenir toute ? Ne le dites donc pas non plus de vos richesses ; c’est à celui qui les a reçues de les partager. De même que c’est un vice dans l’estomac de retenir toute la nourriture et de ne pas la distribuer, car par là il détruit le corps entier ; ainsi c’est un vice chez les riches de retenir ce qu’ils possèdent : car par là ils font leur malheur et celui des autres. L’œil aussi reçoit toute la lumière ; mais il ne la retient pas pour lui seul, et éclaire le corps entier. Tant qu’il est œil, il n’est pas dans sa nature de la retenir. Les narines respirent aussi les bonnes odeurs ; mais elles ne les conservent pas ; elles les transmettent au cerveau, les communiquent à l’estomac et réjouissent par elles l’homme tout entier. Les pieds seuls marchent ; mais ils ne se transportent pas seuls ; car ils mettent en mouvement le corps entier.
De même ne gardez point pour vous seul ce qui vous a été confié ; autrement vous nuiriez, à tous, à vous surtout. Cette observation ne s’applique pas seulement aux membres. Un ouvrier en fer, par exemple, en refusant de travailler pour les autres, se ruine lui-même et rend les autres arts impossibles. Semblablement, si un cordonnier, un laboureur, un boulanger, tout homme exerçant un métier nécessaire, refuse d’en faire jouir les autres, il les perd et se perd lui-même. Et que parlé-je des riches ? Les pauvres eux-mêmes, s’ils imitaient la méchanceté des riches et des avares, vous uniraient considérablement, vous appauvriraient, vous détruiraient même bientôt, s’ils refusaient de se prêter quand vous avez besoin d’eux : comme si, par exemple, un laboureur refusait le travail de ses mains, un pilote la faculté de commercer, sur mer, un soldat son habileté dans les combats. N’y eût-il pas d’autre raison, rougissez et imitez leur bienveillance. Vous ne faites part de vos richesses à personne ? Alors ne recevez rien de personne, et tout sera renversé de fond en comble. Car donner et recevoir est partout la source de beaucoup d’avantages, en agriculture, dans l’instruction, dans les arts. Quiconque garde son art pour lui seul, se perd et met le monde sens dessus dessous. En enfouissant la semence chez toi, le laboureur causera une affreuse disette ; ainsi le riche en enfouissant son argent, se nuit plus qu’aux pauvres, puisqu’il appelle sur sa tête la flamme terrible de l’enfer.
De même que les martres communiquent leurs connaissances à tous leurs élèves, quel qu’en soit le nombre ; ainsi faites-vous beaucoup d’obligés par vos bienfaits. Que tous disent : Il a délivré celui-ci de ta pauvreté, celui-là du péril ; un tel eût péri, si, avec la grâce de Dieu, vous ne l’aviez sauvé par votre patronage ; vous avez arraché celui-ci à la maladie, cet autre à la calomnie ; l’un était étranger, vous l’avez accueilli ; l’autre était nu, vous l’avez revêtu. De telles paroles valent mieux qu’une immense richesse et que de nombreux trésors ; elles attirent plutôt l’attention du public que des vêtements d’or, des chevaux et des esclaves. Par ceci on paraît ennuyeux, à charge, on est haï, comme l’ennemi de tous ; par cela, on est proclamé le père et le bienfaiteur universel, et, ce qui est bien au-dessus de tout le reste, on est accompagné dans toutes ses actions par la bienveillance de Dieu. Que l’un dise donc : Il a marié et doté ma fille ; l’autre : Il a fait prendre placé à mon fils parmi les hommes ; celui-ci : Il m’a tiré du malheur ; celui-là : Il m’a sauvé du péril. Ces paroles sont préférables à des couronnes d’or ; ce sont des milliers de hérauts qui proclament dans la ville les fruits de votre charité ; voix bien plus agréables,