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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/373

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moi, je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous », se remettant ainsi lui-même en scène. Mais qu’est-ce que cela veut dire : « Je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous ou par un tribunal humain ? » Cela signifie Je me juge indigne d’être jugé par vous ; que dis-je, par vous ? et même par tout autre. Mais que personne n’accuse Paul d’orgueil, s’il déclare que personne n’est digne de prononcer un jugement sur lui. D’abord il ne parle pas ? ici dans son intérêt, mais pour protéger ceux que les Corinthiens importunaient ; ensuite ce n’est pas seulement aux Corinthiens, mais à lui-même, qu’il refuse le droit de juger, eh affirmant que ce droit dépasse ses forcés : en effet, il ajoute : « Bien plus, je ne me juge pas moi-même ». Là-dessus, il faut rechercher le motif qui le fait parler ainsi : car souvent il prend un langage magnifique, non par orgueil ou par présomption, mais dans des vues excellentes. Ici son but n’est pas de s’élever, mais d’abaisser les autres, et de relever la dignité des saints. Et, pour preuve de sa profonde humilité, écoutez ce qu’il dit, en produisant le témoignage même de ses ennemis : « Mais, quand il est présent, il paraît chétif de corps et vulgaire de langage » (2Cor. 10,10) ; et encore : « Et enfin, après tous les autres, il s’est fait voir aussi à moi comme à l’avorton ». (1Cor. 15,8) Mais cet homme si humble, voyez comme il sait, dans l’occasion, relever ses disciples, non en leur inspirant l’orgueil, mais le sentiment de la vérité, alors qu’il leur dit : « Or si le monde doit être jugé par vous, êtes-vous indignes de juger des moindres choses ? » (1Cor. 6,2) Comme il convient que le chrétien se tienne à une grande distance de la forfanterie, ainsi doit-il être étranger à la flatterie et à tout sentiment ignoble.
Si quelqu’un dit : Je regarde l’argent comme rien ; pour moi le présent est une ombre, un songe, un jouet d’enfant ; ne l’accusons pas pour cela de vanterie ; car il faudrait adresser ce reproche à Salomon qui, traitant ce même sujet, s’écrie : « Vanité des vanités ! Tout est vanité ! » Mais à Dieu ne plaise que nous donnions à cette sagesse le nom de vanterie ! Mépriser ces choses n’est donc point folie, mais grandeur d’âme, bien que nous voyions les rois et les princes les revendiquer pour eux. Mais le pauvre vraiment sage, les dédaigne souvent ; et nous ne l’appelons pas orgueilleux pour autant, mais magnanime ; comme nous n’appelons pas humble et modeste celui qui les recherche avec ardeur, mais faible ; pusillanime et servile. Si un fils dédaignant ce qui appartient à son père, se prenait d’admiration pour la condition des esclaves, nous ne le louerions pas comme un homme humble, mais nous le blâmerions comme un être bas et ignoble, et nous l’admirerions dans le cas contraire. En effet, se croire meilleur que ses frères, c’est arrogance ; mais porter sur les choses un jugement vrai, ce n’est plus arrogance, mais sagesse.
2. Ce n’est donc point pour se vanter, mais pour humilier les autres, abattre leur enflure et les porter à la modestie, que Paul dit : « Pour moi je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous ou par un tribunal humain ». Voyez-vous comme il les guérit ? Quiconque l’aura entendu dire qu’il n’a souci de personne et qu’il n’accepte point de juge ne pourra plus se plaindre d’être seul mis de côté. S’il eût dit seulement : « Par vous », et rien de plus, cela aurait pu les blesser comme signe de mépris. Mais en ajoutant : « Ou par un tribunal humain », il applique le remède à la plaie, en leur faisant voir qu’ils ne sont pas seuls l’objet de son dédain. Il guérit encore la blessure, en disant : « Bien plus, je ne me juge pas moi-même ». Vous voyez donc qu’il ne parle point par arrogance, puisqu’il ne se croit pas lui-même capable d’un jugement exact. Et comme son langage paraissait cependant dicté par un extrême orgueil, il y met un correctif, en disant : « Mais je ne suis pas pour cela justifié ». Quoi donc ! Il ne faut pas le juger soi-même, ni ses fautes ? Cela est nécessaire, au contraire ; et grandement nécessaire, quand nous avons péché : Mais ce n’est pas là ce qu’entend Paul ; il dit : « À la vérité ma conscience ne me reproche rien ». Quel péché pouvait-il juger, puisqu’il n’en avait point à se reprocher ? Et cependant il ne se dit pas justifié. Que dirons-nous donc ; nous qui avons l’âme couverte de mille plaies, qui avons la conscience, de toute sorte de mal, et d’aucun bien ? Et comment, n’ayant conscience d’aucun mal, n’est-il pas justifié ? Parce qu’il lui arrivait de commettre des fautes, qu’il ne connaissait point comme telles. Jugez par là de la sévérité du futur jugement. S’il déclare donc se mettre peu en peine d’être jugé par eux, ce n’est pas