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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/38

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toute cette colère s’échappe-t-elle en pure perte ! C’est pourquoi ordonnez et menacez, mais gardez-vous d’y ajouter le serment. Car vous pourrez alors, et à votre gré, revenir sur vos actes et sur vos paroles. D’ailleurs je ne veux aujourd’hui que vous parler avec beaucoup de douceur, puisque votre bienveillante attention me prouve que déjà vous vous êtes en grande partie corrigés. Je me bornerai donc à vous rappeler quelles circonstances ont donné lieu au serment, et l’ont propagé parmi les hommes. Le récit de son origine et celui des temps et des personnages au milieu desquels il s’est produit pour la première fois vous sera un témoignage de ma reconnaissance. L’homme vertueux n’est point étranger au langage d’une saine philosophie, et l’homme vicieux n’est point digne de l’entendre.
Dès les premiers siècles, Abraham conclut plusieurs traités, immola des victimes et offrit des sacrifices ; mais il ne prononça aucun serinent. Quelles en furent donc la cause et l’occasion ? La malice toujours croissante des hommes, l’oubli complet de toute notion de justice, et les progrès de l’idolâtrie. Alors donc, et alors seulement les hommes, étant devenus irréligieux, commencèrent à prendre Dieu à témoin de leurs paroles. Et en effet qu’est-ce que le serment ? Une garantie qu’on donne de sa sincérité, quand la corruption des mœurs ôte toute confiance. Ainsi le premier reproche que mérite celui qui fait un serment est d’être si peu sincère qu’on ne saurait croire à sa parole sans une garantie, et même la plus grande qu’il puisse offrir. Car c’est parce qu’on le juge indigne de la moindre confiance, que l’on repousse toute garantie qui viendrait des hommes, et que l’on exige celle de Dieu. En second lieu, celui qui requiert le serment, n’est pas moins coupable, s’il l’exige dans toutes les affaires, et s’il refuse tout autre mode de transaction.
O démence, honte et folie ! ô homme, toi qui n’es qu’un ver de terre, cendre et poussière, tu appelles le Seigneur en témoignage de ta parole, et tu le forces à devenir ta caution ! Mais si une querelle s’élevait parmi vos esclaves, et si dans le feu de la dispute l’un d’eux osait appeler son maître en garantie de sa parole ; pour toute réponse vous le feriez châtier sévèrement, et vous lui apprendriez ainsi à ne point se jouer de votre autorité. Bien plus, supposons qu’au lieu de son maître, cet esclave invoquât le témoignage d’un homme vénérable, celui-ci ne s’en tiendrait-il pas offensé ? Mais je ne demande point le serment, me direz-vous. Très-bien ; cessez donc de l’exiger ; et quand on vous dira : Voulez-vous un tel pour caution, refusez-vous-y absolument. Quoi ! faut-il que je perde mon bien ? Je ne dis point cela, et, je me plains seulement de l’offense que vous faites à Dieu. C’est pourquoi celui qui exige le serment est certainement plus coupable que celui qui le prête ; mais je n’absous point celui qui jure sans en être requis.
Une conduite bien plus criminelle est celle de ces hommes qui jurent pour une obole, pour un rien, souvent même pour une chose injuste. Encore du moins si l’on ne s’exposait point au parjure. Car dans ce cas, il y a un grave désordre, et il faut en faire retomber la responsabilité sur celui qui a reçu le serment et sur celui qui l’a prêté. Mais que de choses me direz-vous, sont douteuses et inconnues ! Vous devez alors n’agir qu’avec beaucoup de réserve, et si vous êtes imprudent, ne blâmez que, vous seul. Au reste, il vous serait plus avantageux de souffrir ce dommage que tout autre. Car, lorsque vous appelez à serment votre débiteur, que vous proposez-vous ? de l’entraîner à un parjure ? Mais ce serait une véritable démence, et le châtiment en retomberait sur votre tête ; il vaudrait mieux pour vous perdre votre fortune, qu’exposer ainsi le salut de votre frère, risquer le vôtre et offenser le Seigneur. Une telle conduite dénoterait une grande insensibilité de cœur, et une profonde impiété.
Mais j’espère, me direz-vous, que cet homme gardera son serment. Pourquoi donc ne le croiriez-vous pas sur sa parole ? C’est que plusieurs craignent de violer un serment, et se font un jeu d’une simple promesse. Erreur, erreur, ô mon frère ! car celui qui s’est accoutumé à ravir le bien ou la réputation du prochain, ne respectera pas un serment, et celui qui s’effraie d’un parjure, s’effraiera bien plus encore d’une injustice. Mais il ne s’y résout qu’avec peine. – Il mérite donc que vous le traitiez avec bonté. Au reste, oublions un instant cette coutume d’exiger le serment dans toutes les transactions et affaires civiles, et portons la question sur le terrain des mœurs privées : Ici, vous ne pouvez alléguer aucune excuse, car vous jurez, et vous vous parjurez