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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/383

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nous fuyons la pauvreté, non parce qu’elle nous paraît réellement déshonorante, mais parce quo nos maîtres la jugent telle et que nous les craignons. Ainsi encore beaucoup regardent comme une chose ignominieuse et détestable d’être déshonoré, d’être méprisé, de n’exercer aucune charge, de n’avoir pas de puissance. Nous évitons donc cela, non par conviction, mais par égard pour l’opinion de nos maîtres. Dans le sens opposé, nous subissons le même inconvénient : on regarde comme un bien la richesse, le faste, les honneurs, l’éclat ; nous les poursuivons, non parce que ces choses nous paraissent bonnes par nature, mais pour obéir à l’opinion de nos maîtres.
Or notre maître s’est le peuple ; et la foule est un maître cruel et un dur tyran. Car elle n’a pas besoin de commander pour que nous lui obéissions ; il nous suffit de savoir ce qu’elle veut, et nous cédons sans ordre : tant nous avons de déférence pour elle. Chaque jour Dieu avertit et menace, et n’est point écouté ; et une multitude confuse, la lie du peuple, n’a pas besoin de commander ; c’est assez qu’elle manifeste sa volonté, on lui obéit immédiatement en tout. Et comment, direz-vous, échapper à ces maîtres ? En élevant plus haut ses pensées ; en considérant la nature des choses ; en dédaignant les suffrages du vulgaire ; en se réglant avant tout de manière à éviter ce qui est réellement mal, non par peur des hommes, mais par crainte de l’œil qui ne dort jamais ; en ne cherchant dans le bien que les récompenses qui viennent de Dieu. Et il arrivera que dans les autres choses nous ne rechercherons pas davantage la faveur populaire. Car l’homme qui se contente des suffrages de Dieu et n’estime pas même la foule digne de le juger quand il fait le bien, ne tiendra pas plus compte de celle-ci, quand il s’agira d’éviter le mal. Comment cela peut-il se faire ? direz-vous.
Considérez ce que c’est que l’homme, ce que c’est que Dieu, à qui vous aurez recours si vous abandonnez Dieu, et vous serez bientôt parfaitement en règle. L’homme est sujet aux mêmes fautes, au même jugement, au même châtiment que vous ; il est devenu semblable à la vanité ; son jugement n’est pas droit, il a besoin d’être dirigé d’en haut ; terre et cendre, l’homme, quand il loue, loue souvent au hasard, ou par faveur, ou par haine ; et s’il calomnie ou accuse, c’est encore par le même principe. Il n’en est pas ainsi de Dieu : son suffrage est impartial, son Jugement pur. C’est pourquoi il faut toujours recourir à lui ; non seulement pour cette raison, mais encore parce qu’il vous a créé, parce qu’il vous ménage plus que qui que ce soit et qu’il vous aime plus que vous-même. Pourquoi dons, délaissant un si glorieux suffrage, recourons-nous à l’homme qui n’est rien, qui fait tout sans raison et au hasard ? il vous appelle méchant, scélérat, quand vous ne l’êtes pas ? Plaignez-le plutôt et pleurez sur lui, parce qu’il est perverti et que son âme est aveuglée ; parce que les apôtres ont subi ces calomnies et ont ri de ceux qui les avaient forgées. Il vous appelle vertueux et homme de bien ? Si vous êtes tel, ne vous enflez pas de cette bonne opinion ; si vous ne l’êtes pas, méprisez-la encore davantage et regardez-la comme une moquerie. Voulez-vous savoir jusqu’à quel point les jugements de la multitude sont faux, inutiles, ridicules, tantôt dictés par la fureur et la folie ; tantôt puérils comme ceux de l’enfant au berceau ?
Écoutez ce qu’ils ont été jadis : Je ne parle pas seulement ici des jugements de la multitude, mais d’hommes estimés comme très sages, d’anciens législateurs. Qui passa jamais dans l’opinion du vulgaire pour plus sage que celui qui fut jugé capable de donner des lois aux cités et aux peuples ? Et pourtant aux yeux de ces sages la fornication n’était point un mal, ne méritait aucun châtiment. Aucune de ces législations païennes ne la punissait, ne, livrait le coupable à un tribunal ; et aujourd’hui encore, si une action est intentée pour ce crime, elle devient pour la foule un objet de risée et le juge l’écarte. Le jeu de hasard, est également innocent chez eux, et personne n’a jamais été puni pour s’y être livré. L’excès dans le boire et dans le manger, non seulement n’est point un crime, mais passe pour un haut fait aux yeux d’un grand nombre ; dans les repas militaires, il y a émulation sur ce point ; ceux qui ont le plus besoin d’un esprit sain, d’un corps robuste, sont précisément ceux qui s’adonnent le plus à la passion de l’ivrognerie, brisant ainsi leurs forces physiques, obscurcissant leur intelligence. Or aucun législateur n’a décerné de peines contre ce désordre.
5. Qu’y a-t-il de pire que cette folie ? Sont-ce les suffrages de tels hommes que vous ambitionnez,