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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/405

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celui qui n’a rien, a-t-il ce qui est à tout le monde ? N’est-ce pas bien plutôt celui qui a ce qui est à tout le monde ? Non : c’est tout le contraire. Celui qui n’a rien, commande à tout le monde, comme le faisaient les apôtres ; par toute la terre, les maisons leur étaient ouvertes ; ceux qui les recevaient leur en étaient reconnaissants ; ils entraient partout comme chez des parents et des amis. Ils entrèrent chez la marchande de pourpre et elle les servit à table comme une servante ; ils allèrent chez le geôlier et il leur ouvrit toute sa maison ; et ainsi d’une foule d’autres.
Ils avaient donc tout et n’avaient rien. Sans doute ils ne regardaient rien comme leur bien propre, et c’est pour cela qu’ils avaient tout. Car celui qui pense que tout est en commun, use du bien d’autrui comme si c’était le sien ; mais celui qui s’isole et s’approprie ce qu’il a, n’en est pas même le maître. Un exemple rendra cela sensible. Celui qui ne possède absolument rien, ni maison, ni table, ni vêtement inutile, et qui s’est privé de tout pour Dieu, celui-là use du bien commun comme du sien propre, et reçoit de chacun tout ce qu’il veut ; et ainsi, sans rien avoir, il a le bien de tous. Celui, au contraire, qui possède quelque chose n’en est pas le maître ; car personne ne lui donnera rien, et ce qu’il possède est moins à lui qu’aux larrons, aux flous, aux calomniateurs, aux revers de la fortune, etc. Paul a parcouru le monde entier, n’ayant rien sur lui, n’allant ni chez des amis, ni chez des connaissances ; bien plus, il était d’abord l’ennemi de tous ; et pourtant partout où il entrait, il jouissait du bien de tous. Et Ananie et Saphire, pour avoir voulu garder une petite portion de leur fortune, l’ont toute perdue et la vie aussi. Renoncez donc à ce que vous possédez, pour jouir comme d’un bien propre de tout ce que possèdent les autres. Mais je ne sais comment j’ai pu porter l’exagération jusqu’à ce point, en parlant à des hommes qui, hélas ! ne sacrifient pas même la plus mince partie de ce qu’ils ont.
Que ce langage ne s’adresse donc qu’aux parfaits. Aux autres nous dirons : Donnez aux pauvres pour augmenter votre fortune : car il est écrit-: « Celui qui donne au pauvre, prête à Dieu ». (Prov. 19,17) Que si vous êtes pressés et ne voulez pas attendre le temps de la récompense, songez à ceux qui prêtent aux hommes ; ils n’exigent pas immédiatement l’intérêt, mais ils souhaitent que le capital reste longtemps aux mains de l’emprunteur, pourvu que le recouvrement soit sûr et le débiteur solide. Agissez de même : remettez tout à Dieu, pour qu’il vous récompense abondamment. Ne demandez pas tout pour cette vie autrement, qu’auriez-vous à attendre dans l’autre ? Et Dieu met, précisément en réserve dans l’autre monde, parce que cette vie est courte. Mais il donne aussi en ce monde : « Cherchez », nous dit-il, « le royaume des cieux, et toutes ces choses vous seront données par surcroît ». (Mt. 6,33) Ayons donc les yeux fixés de ce côté-là, ne nous pressons pas de recueillir tout le profit, de peur d’amoindrir la récompense, mais attendons le temps convenable. Les intérêts alors ne seront pas comme ceux d’ici-bas, mais tels que Dieu sait les donner. Laissons-les ainsi s’accumuler en grande quantité, puis allons-nous-en d’ici, afin d’obtenir les biens présents et les biens à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père ; en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.