Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

s’il vous trompe, bénissez-le ; s’il vous injurie, honorez-le, élevez-vous au-dessus de tout. Ce sont ces préceptes et d’autres semblables qu’il faudrait vous inviter à pratiquer.
Mais maintenant c’est sur le jurement que nous sommes obligés de parler. Nous faisons comme un maître de philosophie qui se verrait contraint de remettre ses élèves à l’étude des syllabes et de l’alphabet. Songez combien serait ridicule un homme qui, portant une longue barbe, un bâton et une robe de philosophe, irait à l’école avec des enfants et étudierait les mêmes choses qu’eux. Eh bien ! notre conduite n’est pas moins singulière. Car la différence est moindre entre la philosophie et l’alphabet qu’entre le christianisme et le judaïsme. De l’un à l’autre, il y a la même distance qu’entre l’ange et l’homme. Si quelqu’un, dites-moi, faisant descendre un ange du ciel l’invitait à demeurer ici pour entendre nos discours comme devant en profiter pour mieux régler sa conduite, ne ferait-il pas une chose ridicule ? Que s’il est déjà ridicule d’avoir encore besoin de tels enseignements, que sera-ce que de n’y être même pas attentif ? Quelle honte ! Quelle damnation ! Et comment ne serait-ce pas une honte pour des chrétiens d’avoir encore besoin qu’on leur apprenne qu’il ne faut pas jurer ? Corrigeons-nous donc afin que nous cessions d’être dignes de risée. C’est donc à la loi ancienne que nous allons emprunter notre enseignement. Et que dit-elle ? « N’accoutumez point votre bouche au jurement, ne vous familiarisez pas avec le nom du Saint ». Pourquoi ? « Parce que, comme un esclave qu’on met sans cesse à la torture en porte toujours la marque, ainsi en est-il de tout homme qui jure ». (Sir. 13,9, 11)
5. Voyez la prudence du Sage. Il ne dit pas: n’accoutumez point votre pensée, mais : « votre bouche » ; il savait que la bouche est tout dans ce péché qui se corrige aisément. C’est une pure habitude qui fait agir sans réflexion ; telle que celle qu’ont beaucoup de personnes qui, allant au bain, se signent en entrant. C’est un geste que la main sait faire d’elle-même, sans que la volonté y ait aucune part. Une autre fois, c’est encore la main qui, au moment où une lampe s’allume, et pendant que l’esprit est ailleurs, fait le signe de la croix. Il en est ainsi de la bouche qui jure elle n’agit point avec le consentement de l’âme, mais par habitude, et tout est dans la langue. « Ne vous familiarisez pas avec le nom du Saint ; parce que, comme un esclave qu’on met sans cesse à la torture, en porte toujours les marques ; ainsi en est-il de tout homme qui jure ». Ce n’est point le parjure, mais le jurement qui est ici défendu et menacé d’un châtiment. Donc, c’est un péché de jurer. L’âme de celui qui a l’habitude de jurer est en effet telle que ce serviteur mis tous les jours à la torture, elle est couverte d’autant de plaies et de meurtrissures. – Mais je ne vois pas cela, dites-vous. C’est précisément ce qu’il y a de terrible que vous ne le voyiez pas. Vous pourriez le voir, si vous vouliez. Dieu vous a pour cela donné des yeux. C’était avec ces yeux-là que voyait le prophète lorsqu’il disait « Mes plaies se sont pourries et corrompues, à cause de ma folie ». (Ps. 37,5) Nous avons méprisé Dieu, nous avons haï le nom divin, nous avons foulé aux pieds le Christ, nous nous sommes affranchis de la pudeur, personne ne rappelle avec respect le nom de Dieu. Si vous aimez quelqu’un et que l’on prononce son nom, vous vous lèverez. Mais Dieu, vous l’appelez sans cesse comme s’il n’était rien. Appelez-le, lorsque vous faites du bien à votre ennemi ; appelez-le pour le salut de votre âme ; alors il viendra, alors vous le réjouirez ; au lieu que maintenant vous l’irritez. Appelez-le comme l’appela Étienne : « Seigneur », disait-il, « ne leur imputez pas ce péché ». (Act. 7,59) Appelez-le comme l’appela la femme d’Elcana, avec des larmes, des gémissements, des prières. Je ne vous le défends pas, je vous y exhorte même fortement. Appelez-le comme l’appela Moïse, qui l’invoquait à haute voix pour ceux qui l’obligeaient de s’enfuir. Vous ne feriez que prononcer à la légère le nom d’un homme respectable, que cela serait considéré comme une offense ; et lorsque vous avez continuellement, sans raison et même à contre-temps, le nom de Dieu à la bouche, vous croyez que c’est une chose sans conséquence ? Quel châtiment ne mériterez-vous pas ? Je ne vous défends pas d’avoir toujours Dieu dans votre pensée, je le souhaite au contraire, c’est mon plus grand désir, mais que ce ne soit pas autrement qu’il ne lui plaît, que ce soit pour le louer, pour lui rendre hommage. Nous en retirerions de grands fruits, si nous ne l’appelions que lorsqu’il faut, et pour les choses qu’il faut.