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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/466

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fuyais ? Et le démon ne vous répondra que ces mots : Le corps crucifié. C’est par lui que les aiguillons de l’enfer ont été brisés ; par lui que les membres du démon ont été broyés, par lui que les principautés et les puissances ont été désarmées. « Et ayant désarmé les principautés et les puissances, il les a menées hautement en triomphe, à la face du monde entier, après les avoir vaincues par sa croix ». (Col. 2,15)
Demandez-la à la mort, la vertu de ce corps, et dites-lui : D’où vient que tu n’as plus aiguillon ? d’où vient que la chaîne de tes victoires est rompue ? d’où vient que tu n’as plus de nerfs ? d’où vient que les jeunes filles et que les enfants te trouvent ridicule, toi qui faisais peur aux tyrans, toi que tous les justes redoutaient jusque-là ? Et la mort dira : C’est à cause de ce corps. Car, lorsqu’on le crucifiait, alors les morts ressuscitèrent, alors la prison infernale fut défoncée, alors les portes d’airain furent brisées, et les morts furent libres, et les geôliers de l’enfer furent tous frappés de stupeur. Si ce supplicié eût été un homme ordinaire, c’est le contraire qui devait arriver ; la mort aurait été plus puissante ; mais non, ce n’était pas un homme ordinaire, et voilà pourquoi la mort fut brisée. Et de même qu’après avoir pris un aliment que l’on ne saurait digérer, il faut rendre, outre cet aliment, tout ce qu’on avait pris, de même a fait la mort. Ce corps qu’elle avait pris elle n’a pu le digérer, elle a dû le rejeter, et avec lui tous ceux qui étaient dans ses entrailles. Ce corps divin, dans le sein de la mort, la déchira douloureusement, jusqu’à ce qu’elle l’eût rendu. De là ce que dit l’apôtre : « En arrêtant les douleurs de l’enfer ». (Act. 11,24) Non, jamais femme dans les douleurs de l’enfantement, n’est tourmentée comme le fut la mort, quand le corps du Seigneur déchirait ses entrailles. Et vous savez ce qui arriva au dragon de Babylone, qui mangea et creva ; c’est ce qui est arrivé à la mort. Car le Christ n’est pas sorti, par la bouche de la mort, mais par le ventre même ; par le milieu du ventre du dragon, crevé et déchiré. C’est ainsi qu’il est sorti de ses entrailles environné de splendeur, rayonnant de toutes parts, et il a pris son essor non seulement jusqu’au ciel que nos yeux contemplent, mais jusque sur les hauteurs de son trône. Car il a enlevé son corps avec lui. Ce même corps, il nous l’a donné pour le posséder, pour nous en nourrir, preuve d’un ardent amour ; car ceux que nous aimons d’un vif amour, nous voudrions les manger. C’est ainsi que Job disait, pour montrer l’amour que lui portaient ses serviteurs, que souvent ils témoignaient l’ardeur de leur affection pour lui, par ces paroles. « Qui nous donnera de sa chair, afin que nous en soyons rassasiés ? » (Job. 31,34) C’est ainsi que le Christ nous a donné ses chairs, pour que nous en soyons rassasiés, pour s’assurer l’ardeur de plus en plus vive de notre amour.
5. Approchons-nous donc de lui avec ferveur, avec une charité brûlante, et fuyons l’éternel supplice. Plus nous aurons reçu de bienfaits, plus nous serons punis, si nous ne savons pas nous montrer dignes de tant de bonté. Ce corps était couché dans une crèche, et les mages lui ont apporté leur vénération. Des hommes sans foi, des barbares ont quitté leur patrie, leur maison ; ils ont fait un long voyage, et ils sont venus, avec crainte et tremblement, l’adorer. Imitons donc, au moins, des barbares, nous, citoyens du ciel. Ces hommes qui ne voyaient qu’une crèche, une cabane, rien qui ressemble à ce que vous voyez aujourd’hui, se sont approchés, tout saisis de respect et de crainte ; et vous, ce n’est pas dans une crèche que vous l’apercevez, mais dans son sanctuaire ; ce n’est pas une femme qui le tient, mais le prêtre, et le Saint-Esprit avec l’abondance de ses dons plane au-dessus du sacrifice. Vous ne voyez pas simplement comme ceux-là ce corps de vos yeux, mais vous en connaissez la puissance, vous n’ignorez rien de l’économie divine, vous n’ignorez rien des mystères accomplis par ce corps : on vous a tout appris avec soin, en vous initiant. Secouons donc notre assoupissement, et frissonnons ; élevons-nous bien au-dessus de ces barbares ; montrons une piété qui les dépasse ; gardons-nous, en nous approchant sans nous recueillir, d’amasser le feu sur notre tête. Ce que je dis, ce n’est pas pour que nous – refusions de nous avancer, mais pour que nous nous gardions bien de nous approcher sans recueillement. De même que l’absence de recueillement est dangereuse ; de même il y a danger à négliger sa part du mystique banquet ; c’est la faim, c’est la mort. Cette table donne à notre âme ses nerfs, à nos pensées le lien de leur union, le fondement de notre confiance ; notre espérance, notre salut, notre lumière, notre vie.