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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/495

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parlant dans son cœur. Et pourtant même après ces paroles, nombre de femmes ont été assez dépourvues de sens pour surpasser par l’excès de leur deuil même les infidèles. Les unes s’ensevelissent dans leur douleur comme dans des ténèbres ; les autres s’y abandonnent par ostentation pour éviter les accusations du monde ; je dis que celles-ci n’ont pour elles aucune excuse. Afin qu’un tel ne m’accuse pas, disent ces femmes, eh bien que Dieu m’accuse ; afin que des hommes plus insensés que des brutes ne nous condamnent pas, foulons aux pieds la loi du roi de l’univers. Quelle foudre n’attirerait pas un tel délire ? Si après ton deuil on t’appelle à un repas, nul n’y trouvera à redire parce que la loi humaine trouve cette conduite dans l’ordre ; et quand Dieu commande de ne pas pleurer, tous contredisent la loi. Ne penses-tu pas à Job, ô femme, oublies-tu les paroles qu’il fit entendre, au jour désastreux où il perdit ses fils, paroles admirables qui ont décoré sa tête sacrée (le milliers de couronnes, qui ont publié sa gloire avec plus de retentissement que mille trompettes ; ne penses-tu pas à la grandeur d’une telle infortune, à ce naufrage inouï, à cette tragédie étrange, étonnante. Tu n’as perdu, toi, qu’un fils ou un second ou un troisième, mais lui tant de fils à la fois et tant de filles ; et celui qui avait tant d’enfants, le voilà tout à coup sans enfants, et ces entrailles ne furent pas peu à peu déchirées, mais tout à coup tout le fruit de ses entrailles en était arraché ; et cela non pas par la commune loi de la nature, non pas parce qu’ils étaient parvenus à la vieillesse, mais par une mort prématurée, violente, frappant tous ses enfants à la fois ; et cela non pas en sa présence, près de lui, de telle sorte qu’en recueillant leur dernière parole, il pût avoir au moins quelque consolation de leur mort si cruelle. Ils meurent contre toute attente, dans la complète ignorance pour lui de ce qui arrive ; et tous à la fois sont engloutis, et cette maison fut en même temps leur tombe et leur piège : mort non seulement prématurée, mais escortée de mille sujets de douleur : tous dans la fleur de la jeunesse, tous doués de vertu, tous aimables, tous à la même heure, et de l’un ou de l’autre sexe, pas un survivant ; et ils ne mouraient pas par une nécessité commune à tous les hommes ; et ils lui étaient enlevés après la perte de tous ses biens, et c’était sans qu’il se sentît coupable d’aucun crime, ni lui, ni ses enfants, qu’il souffrait tous ces maux.
Un seul de ces coups suffisait à bouleverser l’âme ; quand ils fondent tous ensemble sur une tête, mesurez, calculez la violence des flots, la fureur de la tempête. Et, douleur plus amère, cause de deuil plus cruelle que le deuil même, pourquoi était-il frappé, Job ne pouvait le comprendre. Aussi, dans son impuissance d’expliquer ce désastre, il s’en réfère à la volonté de Dieu : « Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a ôté, il n’est arrivé que ce qui a plu au Seigneur ; que le nom du Seigneur soit béni dans les siècles des siècles ». (Job. 1,21) Et quand il prononçait ces paroles, il se voyait dans la dernière des misères, lui qui avait pratiqué toutes les vertus, et des scélérats, des imposteurs, il les voyait heureux, vivant dans les délices, comblés de toutes les prospérités. Et il ne fit entendre aucun de ces discours que débitent certains hommes sans énergie est-ce donc pour cela que j’ai nourri mes enfants, que je les ai entourés de tant de soins ? est-ce donc pour cela que j’ai ouvert ma maison aux voyageurs ? après tant de courses pour les indigents, pour ceux qui étaient nus, pour les orphelins, voilà donc mon salaire ! Au lieu de ces paroles, il prononça ce qui a plus de prix que tout sacrifice : « Je suis sorti nu du ventre de ma mère, et je m’en retournerai nu ». Que s’il a déchiré ses vêtements, rasé sa chevelure, ne vous en étonnez pas ; c’était un père, un père qui aimait ses enfants, et il était bon que l’on pût voir sa tendresse naturelle et en même temps la sagesse qui le gouvernait. S’il n’eût rien fait pour exprimer sa douleur, on aurait pu attribuer sa sagesse à l’insensibilité, voilà pourquoi il montre et ce qu’il a d’entrailles et la sincérité de sa piété ; il souffre, mais il n’est pas renversé. La lutte se poursuit et il acquiert encore d’autres couronnes pour sa réponse à son épouse : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, n’en recevrons-nous pas aussi les maux ? » (Job. 2,10) Il ne lui restait plus que sa femme ; tout s’était évanoui pour lui, ses enfants, ses trésors, jusqu’à son corps ; et sa femme ne lui était laissée que pour le tenter, pour lui tendre des pièges. Voilà pourquoi le démon ne la lui enleva pas avec ses enfants ; voilà pourquoi il ne demanda pas sa mort, sa mort violente ; il attendait de cette