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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/499

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mais par l’ingratitude de ceux qui le recevaient. En effet, les mieux partagés devenaient superbes à l’égard de ceux qui l’étaient moins bien ; ces derniers, à leur tour, s’affligeaient, portaient envie à ceux qui recevaient des dons plus magnifiques. C’est ce que montre Paul dans la suite de sa lettre ; les fidèles recevaient un coup mortel, la charité s’éteignait ; l’apôtre s’applique avec ardeur à corriger ce mal. Le même désordre eut lieu à Rome, mais y fut moins grand ; aussi, dans l’épître aux Romains, l’apôtre touche ce point, mais d’une manière enveloppée, et sans y insister ; il dit : «. Car, comme dans un seul corps nous avons plusieurs membres, et que tous ces membres n’ont pas la même fonction ; de même, quoique nous soyons plusieurs, nous ne « sommes néanmoins qu’un seul corps en Jésus-Christ, étant tous réciproquement membres les uns des autres. C’est pourquoi comme nous avons tous des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée, que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon l’analogie et la règle de la foi ; que celui qui est appelé au ministère s’attache à son ministère ; que celui qui a reçu le don d’enseigner s’applique à enseigner ». (Rom. 12,4-7) Que ce fut aussi pour eux une occasion de concevoir de l’orgueil, c’est ce que l’apôtre donnait à entendre dès le commencement par ces paroles : « Or, je vous exhorte a tous, selon le ministère qui m’a été donné a par grâce, de ne vous point élever au-delà de ce que vous devez, dans les sentiments que vous avez de vous-mêmes ; mais de vous a tenir dans les bornes de la modération, selon la mesure du don de la foi que Dieu a départi à chacun de vous ». (Id. 3)
Voilà donc comment il parle aux Romains (chez eux la maladie de la discorde, la maladie de l’orgueil n’avait pas fait de grands ravages) mais ici, avec les Corinthiens, l’apôtre s’applique ardemment à la correction ; la maladie avait fait de grands progrès. Et ce n’était pas, chez eux, la seule cause de trouble ; il y avait aussi, dans ce pays-là, des devins en grand nombre ; ce qui n’est pas étonnant dans une ville infectée des mœurs grecques et païennes ; cette cause, ajoutée aux autres, les bouleversait, produisait mille chutes. Voilà pourquoi l’apôtre commence par établir la différence entre la divination et la prophétie. S’ils ont reçu le don de discernement des esprits, c’est pour pouvoir distinguer et reconnaître quel était celui qui parlait au nom de l’Esprit-Saint, quel autre parlait au nom de l’esprit impur. La démonstration de la vérité des prophéties ne pouvait pas se faire sur-le-champ ; car ce n’est pas au moment où la prophétie est prononcée, mais au moment où elle doit se réaliser, que la prophétie fournit la preuve de sa vérité ; il n’était donc pas facile de la reconnaître, de distinguer le prophète de l’imposteur. En effet, le démon, ce monstre de perfidie et d’impureté, suscitait de faux prophètes, ayant eux aussi la prétention d’annoncer l’avenir. Comme donc les fausses prophéties ne pouvaient être convaincues de fausseté, puisque les prédictions n’avaient pu encore se réaliser, la tromperie était facile, et le mensonge et la vérité ne se reconnaissaient qu’à la fin. Voilà pourquoi, pour prévenir l’erreur qui aurait trompé ceux qui entendaient les prophéties, avant le terme de leur accomplissement, l’apôtre donne un signe qui permette de distinguer, même avant l’événement, le vrai prophète de l’imposteur. C’est de là qu’il prend occasion de parler des faveurs de l’Esprit, et il corrige les querelles que ces faveurs ont suscitées.
C’est par les devins qu’il entre en matière, et il commence ainsi : « Pour ce qui est des dons spirituels, mes frères, je ne veux pas que vous ignoriez ce que vous devez savoir ». Il appelle ces signes « spirituels », parce que c’est le Saint-Esprit seul qui les opère, l’homme n’étant pour rien dans de pareils miracles. Et au moment d’engager la discussion, il commence, ainsi que je l’ai dit, par établir la différence entre la divination et la prophétie, par ces paroles : « Vous vous souvenez bien qu’étant païens, vous vous laissiez entraîner, selon qu’on vous menait vers les idoles muettes » ; voici la pensée de l’apôtre : Lorsque quelqu’un autrefois auprès des idoles était saisi de l’esprit impur, et parlait en devin de l’avenir ; l’esprit impur se saisissait de lui, s’en rendait maître, le poussait et l’entraînait où il voulait, sans que cet homme sût ce qu’il disait. Car c’est là le propre du devin ; il est hors de lui ; c’est une violence qu’il subit ; on le pousse, on le traîne ; il est comme un furieux dont on s’empare ; pour le prophète, il n’en est pas ainsi. Calme, maître de sa pensée, parlant avec mesure, il a conscience de toutes ses paroles.