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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/549

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donc, poursuit-il, avancer ici que les dons renfermés en nous-mêmes sont inutiles et qu’il n’y a d’utile que ce qui est clair et ce que les auditeurs saisissent facilement ? N’en est-il pas de même de ces corps sans âme qu’on appelle des instruments de musique ? Qu’il s’agisse de 1a lyre ou de la flûte, si le musicien, sans tenir compte du rythme et de l’harmonie, ne fait entendre que des sons confus en jouant sans réflexion et en demandant des inspirations au hasard, il n’amusera pas ; il ne charmera pas son auditoire. Jusque dans les instruments qui ne possèdent pas les sons articulés de la voix humaine, il faut de la clarté, de l’harmonie, des sons distincts. Ces instruments qui naturellement sont dénués d’expression, nous cherchons avec ardeur à leur donner de l’expression, à les faire parler. Eh bien ! quand il s’agit des êtres animés et doués de raison, quand il s’agit des hommes et des dons spirituels, ne devons-nous pas chercher à nous faire bien entendre ?
« Si la trompette ne parle pas à haute et intelligible voix, qui se préparera à la guerre (8) ? » C’est des objets les plus futiles qu’il tire ses inductions, pour s’élever aux choses nécessaires et utiles ; il prend pour exemples la lyre et la trompette. Ces instruments en effet ont leurs rythmes ; parfois ils donnent le signal de la guerre, parfois tout autre signal. Tantôt ils sonnent la charge, tantôt ils sonnent la retraite, et tout soldat qui n’a pas la clef de cette langue, court le plus grand péril. Voilà ce qu’il veut dire, voilà l’erreur à laquelle il fait allusion en ces termes : « Qui se préparera au combat ? » Si donc l’instrument guerrier n’a pas le don de se faire comprendre, tout est perdu. Quel intérêt, direz-vous, ont pour nous tous ces détails ? Ils en ont un très grand, et voilà pourquoi saint Paul ajoute : « Il en est ainsi de vous. Si votre langage ne manifeste pas vos pensées, comment savoir ce que vous voulez dire ? Vous jetterez vos paroles auvent (9) » ; c’est comme si vous ne disiez rien, c’est comme si personne ne parlait. Et à chaque instant saint Paul s’applique à montrer l’inutilité d’un pareil langage. Si le don des langues est inutile, direz-vous, pourquoi a-t-il été donné à l’homme ? pour qu’il – soit utile à celui qui l’a reçu ; mais, pour être utile aux autres, il faut y joindre le d’on d’interprétation. Ce qu’il en dit est un moyen de tout concilier. S’il ne possède pas le don d’interprétation, il s’adjoindra quelque homme favorisé de ce don, et de cette manière il pourra utiliser ses talents. Voilà pourquoi il ne cesse de montrer que le don des langues est insuffisant par lui-même. Il veut par ce moyen engager ses auditeurs à unir leurs forces. L’homme, en effet, qui regarde le don des langues comme suffisant, le rabaisse plutôt qu’il ne l’élève, parce qu’il ne veut pas, en recourant au don d’interprétation, lui donner tout son lustre : c’est en effet un don précieux et nécessaire ; mais il a besoin d’un interprète pour le mettre dans tout son jour. Les doigts aussi sont nécessaires ; mais séparés de la main, ils deviennent inutiles. La trompette aussi est nécessaire ; mais quand elle ne fait entendre que des sons émis au hasard, elle est ennuyeuse et désagréable à entendre. L’art disparaît, quand l’instrument n’existe pas, mais la matière, pour se faire valoir, a besoin de la façon. La voix, c’est la matière ; les sons clairs et distincts sont la façon ; sans eux, la matière est inutile. Il y a dans le monde une foule de langues qu’on peut savoir, et chaque peuple a son langage (10) : ce qui veut dire qu’il y a autant de langues qu’il y a de peuples. Les Scythes, les Thraces, les Romains, les Perses, les Maures, les Indiens, les Égyptiens et autres peuples innombrables, ont chacun un langage particulier. Si donc j’ignore le son du langage que je parle, je serai pour mes auditeurs un barbare (11).
3. N’allez pas penser qu’il en est ainsi parmi vous seulement ; c’est ce qui arrive partout. Je n’ai point ici pour but de blâmer le don des langues ; je veux dire seulement qu’il m’est inutile si le langage que je parle n’est pas clair et intelligible pour les autres. Puis pour que ses auditeurs ne se révoltent pas contre lui, il se met à leur niveau, en disant : « Celui qui me parle sera un barbare pour moi, et je serai un barbare pour lui » : ce n’est point la faute des langues, c’est celle de notre ignorance. Voyez-vous comme il amène peu à peu ses auditeurs aux propositions qui ont un rapport intime et particulier avec son sujet ; fidèle en ceci à son habitude de tirer ses exemples de loin pour arriver à ce qui rattache à son sujet, d’une manière intime et spéciale. Il parle d’abord de la flûte et de la lyre, instruments souvent imparfaits, souvent inutiles, et il parle ensuite de la trompette, instrument plus utile, pour arriver à la voir humaine.