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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/566

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l’autre : « Ne défendez pas ». Puis, se résumant en quelque sorte, il corrige tout, ajoutant : « Que tout se fasse honnêtement et suivant l’ordre (40) », ce qui s’applique encore à ceux qui par légèreté veulent agir avec indécence, acquérir la réputation de fous, et ne conservent pas l’ordre qui leur convient.
Rien n’est édifiant comme le bon ordre, la paix, la charité, de même que les vices contraires sont une cause de ruine. Cela n’est pas vrai seulement des choses spirituelles, c’est encore vrai en tout le reste. Dans un chœur, dans un navire, dans un char, dans un camp, si vous détruisez l’ordre, et si ôtant de leur place les choses les plus importantes vous y mettez les moins importantes, vous gâtez tout, vous mettez tout sens dessus dessous. Ce n’est point nous qui renverserions l’ordre, et qui mettrions la tête en bas, et les pieds en haut. Il arrive que, quand on renverse ainsi l’ordre naturel, on préfère à la raison la concupiscence, la colère, l’emportement et le plaisir : de là naissent de grandes fluctuations, un soulèvement profond et une horrible tempête, quand les ténèbres ont tout envahi. Et, si vous le voulez, dissipons d’abord la honte qui en résulte, et ensuite le dommage qui en sort. Comment ce mal sera-t-il connu et manifeste ? Amenons sur la place publique un homme ainsi atteint, possédé de l’amour d’une courtisane, et consumé d’un désir infâme, et nous verrons alors combien il est ridicule. Que peut-il y avoir de plus honteux que de se tenir à la porte d’une courtisane et d’être repoussé par elle, de pleurer et de se lamenter, et de ruiner ainsi sa considération ? Si vous voulez voir le dommage, repassez en votre esprit les prodigalités, les dangers mortels, la guerre contre les rivaux, les coups et les blessures que l’on reçoit en ces combats. Ainsi sont également ceux que possède l’amour de l’argent. Ce vice même est plus honteux et plus indécent. Car les débauchés sont occupés d’un seul corps, et lui prodiguent leurs soins et leur amour, mais les avares sont inquiets et tourmentés par les richesses de tous, des pauvres et des riches, et ils aiment ce qui n’existe point, ce qui est le propre d’une passion excessive. Ils ne disent pas : je voudrais avoir les richesses d’un tel ou d’un tel, mais ils veulent des maisons d’or, les maisons et tout ce qu’ils voient ; ils se transportent dans un monde imaginaire ; et c’est ce qu’ils souffrent toujours, et jamais leurs désirs n’ont de fin. Qui pourrait exprimer par les mots cette agitation de leurs pensées, cette tempête, ces ténèbres ? Où sont des flots aussi orageux que ceux du plaisir ? Il n’y en a point, c’est un tumulte, c’est un désordre, ce sont de sombres nuages, qui, au lieu d’eau, apportent le chagrin à l’âme, ce qui a coutume aussi d’arriver à ceux qui aiment la beauté d’autrui. C’est pourquoi ceux qui n’aiment d’aucune façon sont dans un état plus doux que les débauchés de cette sorte. C’est là une pensée que personne ne contredirait ; pour moi, je vais jusqu’à dire que celui qui aime et réprime sa passion, éprouve plus de plaisir que celui qui jouit continuellement d’une courtisane. Quoiqu’il soit un peu difficile de le prouver, cependant j’aurai l’audace de l’entreprendre. Cela est difficile, non pas à cause de la nature des choses, mais parce que les auditeurs ne sont point dignes de cette philosophie.
3. Répondez-moi, je vous prie : qu’est-ce qui est plus agréable à un amant, d’être méprisé de sa maîtresse, ou d’être honoré d’elle et de la mépriser ? Il est clair que ce dernier cas est le plus agréable. Qui donc, je vous prie, la courtisane honorera-t-elle plus, ou l’homme qui s’asservit à elle et devient son esclave, ou celui qui s’est joué de ses filets et vole au-dessus des pièges qu’elle lui a tendus ? Il est clair que c’est ce dernier. Sur qui portera-t-elle plus tôt son amour, sur celui qui a succombé, ou sur celui qui n’a pas encore succombé ? sur celui, certes, qui n’a pas encore succombé. Quel est celui qui est le plus désirable, celui qui est déjà atteint de l’amour ou celui qui n’a pas encore été captivé ? C’est celui qui n’a pas encore été captivé. Si vous ne voulez point m’en croire, voyez ce qui vous arrive à vous-même. Quelle est la femme qu’on aimera plus, celle qui succombe facilement et se donne elle-même, ou celle qui refuse et combat longtemps ? Il est hors de doute que c’est celle-ci, car c’est ainsi qu’elle allume un désir plus vif. La même chose arrive à la femme : elle honorera et admirera plus celui qui la méprise. S’il en est ainsi, que celui-là éprouve plus de plaisir qui est plus honoré et plus aimé. Le général d’armée qui a pris une fois une ville, l’abandonne, mais il met toute son ardeur à assiéger celle qui résiste et lutte ; le chasseur laisse cachée la bête qu’il