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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/567

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a prise, comme la courtisane fait de son amant, mais il poursuit celle qui se sauve devant lui. Mais l’amant, direz-vous, jouit de ses désirs, et l’autre n’en jouit point. Mais échapper à la honte et au déshonneur, ne pas être asservi à la tyrannie d’une maîtresse, ne pas être conduit et mené par elle comme un esclave, roué de coups, conspué, frappé à la tête, croyez-vous, dites-moi, que ce soit là un petit plaisir ? Si l’on voulait bien examiner tous ces tourments et rassembler toutes les hontes, les outrages, les incriminations, les colères, les inimitiés, et tous ces maux qui ne sont connus que de ceux qui les ont soufferts, il trouverait que toute guerre a plus de trêves que la vie misérable de ces hommes.
Quel est donc le plaisir dont vous me parlez, je vous le demande, est-ce celui qui résulte de l’union des sexes, et qui est bref et passager ? mais la guerre lui succède tout à coup, et les agitations, et la rage, et la folie. Je vous parle comme je parlerais à des jeunes gens incontinents et impudiques, et qui n’entendraient pas volontiers ce qu’on leur dirait du paradis et de l’enfer. Mais, quand nous aurons produit tout cela au grand jour, nous ne pourrons dire combien grand est le plaisir des gens modérés et tempérants alors chacun pensera aux couronnes, aux récompenses, au commerce avec les anges, à la bonne réputation par la terre entière, à, la confiance et à la franchise des paroles, à ces espérances de bonheur immortelles. Mais l’union des sexes nous procure du plaisir ; voilà ce qu’ils nous opposent toujours, et encore, que l’homme tempérant ne peut pas toujours résister à la tyrannie de l’amour. C’est le contraire que vous trouverez ; le trouble et le désordre se trouvent plutôt chez celui qui se livre à la débauche, son corps est sans cesse agité ; son trouble est plus grand que celui de la mer houleuse ; jamais son désir ne s’arrête, il supporte continuellement ses assauts, semblable à ceux qui sont possédés par le démon et agités par les mauvais esprits. L’homme tempérant, au contraire, semblable à un vigoureux athlète, tient toujours la passion abattue, et trouve là un plaisir plus vif que tous les plaisirs des sens ; cette victoire et sa bonne conscience lui servent de trophées éclatants et durables. Si le débauché se repose un peu après la lutte, il ne lui sert de rien ; car de nouvelles agitations et de nouvelles tempêtes l’envahissent. Mais le sage ne permet pas dès le commencement que ce trouble pénètre en lui, que la mer se soulève, et que cette bête pousse des cris. S’il éprouve quelque peine à réprimer de si violents mouvements, il faut dire aussi que le débauché, toujours battu, percé dé coups et ne pouvant supporter l’aiguillon du désir, est semblable à celui qui emploie en vain tout son art à retenir un cheval indocile au frein ; s’il cesse un instant ses efforts, s’il recule devant la fatigue, il est emporté par lui. Si j’ai expliqué tout cela plus clairement qu’il ne faut, qu’on ne me reprenne point ; je ne recherche point la majesté dans mon discours, je cherche à rendre mes auditeurs graves et honnêtes.
4. Les prophètes aussi ne reculent devant aucune parole, quand ils veulent détruire l’intempérance et la corruption des Juifs, mais ils les réprimandent avec des paroles encore plus significatives que celles dont nous nous sommes servis. Le médecin qui veut guérir un abcès ne regarde pas à conserver ses mains propres, il ne songe qu’à guérir le malade de son abcès ; celui qui veut relever l’humble se fait humble d’abord, et celui qui s’applique à tuer l’homme, qui dresse des embûches, se couvre de sang en même temps que son ennemi, et c’est cela même qui lui donne plus de gloire. Si vous voyez un soldat revenir de la guerre, souillé de sang et de cervelle, vous n’irez point le détester pour cela ni le, repousser, mais vous ne l’en admirerez que plus. Ainsi devons-nous faire quand nous voyons quelqu’un revenir tout ensanglanté, après avoir immolé la passion ; nous devons l’en admirer davantage, nous associer et participer à ses combats et à ses victoires, et dire à ceux qui aiment : montrez-nous le plaisir que vous avez recueilli de vos passions.
L’homme tempérant et chaste trouve la volupté dans la victoire qu’il remporte sur lui-même : mais vous, quel est le plaisir que vous goûtez ? Vous me parlerez peut-être de celui que vous puisez dans un commerce charnel. Ah ! la volupté de la tempérance est plus franche et plus durable. Vos jouissances à vous sont courtes et vos plaisirs d’un moment ne laissent point de traces. Mais la chasteté puise dans sa conscience des joies plus vives et plus suaves qui ont de la durée. Le commerce des