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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/577

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plaindra pas moins qu’auparavant ; doublez et triplez ses revenus, nouveaux chagrins pour lui, de ce qu’il n’a point de part aux affaires publiques ; donnez-lui sa part, il se plaindra de n’avoir pas la première ; accordez-lui cet honneur, il se plaindra de n’avoir pas le pouvoir. Arrivé au pouvoir, il souffrira de n’avoir pas de pouvoir sur le peuple entier ; maître du peuple entier, de ce qu’il ne commande pas à des peuples nombreux ; maître de peuples nombreux, de ce qu’il ne commande pas à tous les peuples du monde. Gouverneur ou préfet, il voudra être roi ; roi, il voudra être seul monarque ; seul monarque, il voudra l’être et des nations barbares et de la terre tout entière ; souverain du monde entier, pourquoi ne le serait-il pas d’un autre monde encore ? La pensée de cet homme, s’avançant toujours dans l’infini, ne lui permet pas de jamais rencontrer la douce joie.
7. Voyez-vous comment alors même que, d’un être vil, d’un mendiant, vous feriez un roi, vous ne supprimerez pas le chagrin, là morne tristesse, si vous ne purgez pas la pensée que travaillent l’avarice et la cupidité ? Eh bien, je veux vous montrer un spectacle tout contraire, je sage descendu du faîte suprême au degré le plus bas, et toujours exempt de tristesse et de chagrins. Descendons, si vous voulez, les mêmes échelons, c’est le préfet que nous renversons de son siège élevé ; dépouillez-le en paroles de sa dignité. S’il veut faire les réflexions que nous avons dites, il n’en concevra lui-même aucun chagrin. Au lieu de considérer ce qu’on lui a enlevé, il réfléchira sur ce qu’il possède actuellement, la gloire qu’il tient de la magistrature qu’il a exercée. Enlevez-lui encore cette gloire, il pensera aux simples particuliers, à ceux qui ne se sont jamais élevés jusqu’à cette magistrature, il se consolera par ses richesses ; dépouillez-le encore de ses richesses, il considérera ceux dont la fortune est médiocre ; enlevez-lui même cette médiocrité, ne lui laissez plus que les aliments nécessaires, il pourra considérer ceux qui ne possèdent même pas ce nécessaire, qui soutiennent contre la faim un combat continuel, qui habitent dans une prison. Jetez-le même dans ce triste séjour, il pensera aux malades travaillés de maux incurables ; d’insupportables douleurs et verra que son sort est bien plus digne d’envie. Et de même que cet acheteur de fumiers, devenu roi, ne trouve pas même alors la tranquillité de l’âme, de même cet homme puissant, jusque dans les fers, ignore l’affliction chagrine et la tristesse. Donc, ce ne sont ni les richesses qui procurent le plaisir, ni la pauvreté qui cause la tristesse ; tout vient de nos pensées, de l’impureté de notre âme dont les regards ne sauraient s’arrêter, se fixer nulle part, et se plongent pour se perdre dans l’infini. De même que les corps pleins de santé, n’eussent-ils à manger que du pain, y trouvent en abondance et la vie et la force ; tandis que les corps malades, quelle que soit la délicatesse, la variété de la table, ne font que s’affaiblir de plus en plus, de même pour votre âme. Les âmes mesquines et basses ne trouvent ni avec un diadème, ni avec des honneurs d’un éclat inexprimable, le bonheur et la joie ; le sage, même dans les fers, prisonnier, au sein de la pauvreté, jouit du plaisir pur.
Pénétrés de ces pensées, sachons donc regarder toujours au-dessous de nous. Sans doute il y a encore une autre consolation, mais elle est d’une haute sagesse et dépasse la raison épaisse du grand nombre. Quelle est-elle cette consolation ? C’est que la richesse n’est rien ; la pauvreté, rien ; l’infamie, rien ; là gloire, rien, affaires de quelques instants bien courts, pures distinctions dans les mots. À cette pensée vous en pouvez joindre une autre plus relevée encore, la pensée des biens et des maux à venir, des vrais maux et des vrais biens, et en tirer votre consolation. Mais je l’ai déjà dit : un grand nombre de personnes sont bien loin de comprendre un enseignement de ce genre, et voilà pourquoi nous nous sommes arrêtés nécessairement sur les réflexions que nous avons faites, dans la pensée que nous pourrons conduire ceux qui les auront accueillies vers cette autre doctrine plus relevée. Méditons donc toutes ces pensées, employons tous nos efforts à bien mettre en ordre nos sentiments, et il ne nous arrivera jamais de nous attrister des accidents imprévus. Vous verriez des images d’hommes riches, vous ne diriez pas qu’il faut célébrer leur bonheur, en être jaloux ; vous verriez des images de mendiants, vous ne diriez pas qu’ils sont malheureux et qu’il les faut plaindre. Or assurément ces peintures ont plus de solidité, de stabilité que les riches que nous voyons près de nous : un riche en peinture a