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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/62

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En sorte qu’ils étaient heureux, plus puissants et plus forts que tous. Oui, dirait-on, parce qu’ils faisaient des prodiges. Mais, dites-moi, quels prodiges faisaient les fidèles, les trois mille, les cinq mille, qui pourtant vivaient dans une grande allégresse ? Et cela devait être. Avec la possession des richesses, la cause de tous les chagrins avait été supprimée. Là, là, en effet, était la source des guerres, des disputes, de la tristesse, du découragement, de tous les maux ; la source de ce qui rend la vie désagréable et pénible. Car vous trouverez plus d’affligés chez les riches que chez les pauvres. Si quelques-uns pensent le contraire, ils jugent d’après leur opinion, et non d’après la nature des choses. Rien d’étonnant, du reste, à ce que les riches éprouvent quelque jouissance ; les galeux en éprouvent lien une grande. Et la preuve qu’il n’y a pas (le différence, entre les galeux et l’âme des riches, c’est que ceux-ci, quoique accablés de soucis, s’y attachent pourtant à cause d’un plaisir passager ; tandis que ceux qui en sont débarrassés se portent bien et sont exempts de chagrin.
4. Lequel est le plus doux, dites-moi, lequel est le plus sûr, de n’avoir à songer qu’à un morceau de pain, qu’à un vêtement, ou de s’occuper de mille personnes esclaves ou libres, tout en se négligeant soi-même ? Celui-là ne craint que pour lui, et – vous, vous êtes inquiets pour tous ceux qui dépendent de – vous. Et pourquoi, direz-vous, croit-on devoir fuir la pauvreté ? Parce qu’il y a d’autres biens que beaucoup ont, en aversion, non parce qu’il faut les fuir, mais parce qu’ils sont d’une pratique difficile ; la pauvreté est de ce nombre. Celui qui peut la supporter ne la juge las digne d’aversion. Pourquoi les apôtres ne la repoussaient-ils point ? Pourquoi beaucoup l’embrassent-ils et courent-ils à elle, loin de l’avoir en horreur ? Car il n’y a que les fous qui puissent désirer ce qui est odieux.
Quand des philosophes, quand des hommes sublimes vont à elle comme à une place de sûreté, comme à un lieu salubre, il ne faut pas s’étonner que d’autres pensent différemment. Le riche ne nie semble pas être autre chose qu’une ville sans murailles, située en plaine, et s’attirant de tous côtés des ennemis, tandis que la pauvreté est une place sûre, entourée de murs d’airain et d’un accès difficile. C’est le contraire qui a lieu, direz-vous ? Ce sont les pauvres qui sont souvent traînés devant les tribunaux, ce sont eux qu’on injurie et qu’on malmène. Alors ceux-là ne sont pas simplement des pauvres, mais des pauvres qui veulent s’enrichir. Je ne parle pas d’eux, mais de ceux qui embrassent volontairement la pauvreté. De grâce, pourquoi personne ne traduit-il devant les tribunaux les pauvres qui vivent dans les montagnes ? Cependant, si la pauvreté prête facilement à l’oppression, ce sont ceux-là qu’on devrait le plus tôt traduire devant les tribunaux. Pourquoi n’y traîne-t-on pas les mendiants ? Pourquoi personne ne leur fait-il violence, ne les calomnie-t-il ? N’est-ce pas parce qu’ils sont en un lieu de sûreté ? À combien de gens la pauvreté et la mendicité ne paraissent-elles pas le comble du malheur ? Quoi ! direz-vous, la mendicité est-elle une bonne chose ? Oui, s’il y a quelqu’un pour la consoler, pour en avoir pitié, pour lui donner l’aumône ; chacun sait que c’est une existence dégagée de soucis et pleine de sécurité. Je ne vous y exhorte pas, tant s’en faut, mais je vous engage à ne pas désirer les richesses. Lesquels, s’il vous plaît, vous semblent les plus heureux, de ceux qui pratiquent la vertu, ou de ceux qui s’en tiennent éloignés ? Les premiers, sans doute. Et lesquels sont les plus aptes à apprendre des choses utiles et à briller dans la sagesse ? Les premiers encore. Si vous en doutez, écoutez la preuve : Qu’on amène un mendiant de la place publique, qu’on le suppose estropié, boiteux, manchot ; qu’on amène ensuite un autre homme, beau, robuste de corps, plein de vie, opulent, de naissance illustre et très-puissant. Conduisons-les tous les deux à l’école de la philosophie, et voyons celui qui accueillera le mieux ses leçons. Commençons par, le premier précepte : Soyez humble et modeste ; c’est là l’ordre du Christ : Lequel des deux l’accomplira le mieux ? « Heureux ceux qui pleurent ! » lequel écoutera le mieux cette parole ? « Heureux les humbles ! » Lequel sera le plus attentif ? « Heureux ceux qui ont le cœur pur ! Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ! Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice ! » (Mt. 5,5-10). Lequel accueillera le mieux ces enseignements ? Ou, si vous le voulez, rapprochons-les l’un de l’autre : N’est-il pas vrai que l’un est orgueilleux et enflé, et l’autre toujours humble et modeste ? Évidemment, cette