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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/74

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stupidité et beaucoup d’autres maux sont les effets de la colère. Mais, direz-vous, il n’injurie que son fils ou son serviteur. Ne pensez pas que ce soit faiblesse, si vous n’en faites pas autant. Dites-moi, est-ce bien faire ? Je ne pense pas que vous le disiez. Ne faites donc pas ce qu’il n’est pas bon de faire. Je sais à quelles colères de tels hommes sont sujets. Que sera-ce, direz-vous, s’il se contente de mépriser ? de répéter ce qu’il a dit ? Reprenez alors, menacez, suppliez : la douceur brise la colère ; approchez-vous et reprenez. Cela ne doit pas se faire quand il s’agit de nous ; mais cela est nécessaire quand il s’agit des autres. Ne regardez point comme fait à vous-même l’outrage fait à votre fils ; si vous en souffrez, que ce ne soit pas comme d’une injure personnelle : car si votre fils est maltraité, ce n’est point sur vous, mais sur l’auteur, que retombe l’injure. Émoussez la pointe du glaive ; qu’il rentre dans le fourreau. S’il en est tiré, souvent, dans un mouvement de colère, on peut s’en servir mal à propos ; s’il y reste, même quand on a l’occasion de s’en servir, la colère s’éteindra. Le Christ ne veut pas que nous nous fâchions pour lui ; écoutez en effet ce qu’il dit à Pierre : « Remettez votre épée au fourreau ». Et vous vous fâcheriez pour votre fils ! Apprenez à votre fils à être sage. Racontez-lui les souffrances du Maître : imitez le Maître vous-même. Quand ses apôtres devaient être livrés aux outrages, il ne leur a pas dit : Je vous vengerai : Que leur a-t-il dit ? « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ». Souffrez donc avec courage : vous n’êtes pas meilleurs que moi. Dites cela à votre fils, à votre serviteur : Tu n’es pas meilleur que ton maître.
Mais ces paroles de la sagesse ont l’air de contes de vieille. Hélas ! pourquoi ne peut-on exprimer en paroles ce que l’expérience démontre si bien ? Pour vous convaincre, supposez que vous êtes au milieu de deux partis en lutte, du côté des innocents et non des coupables ; ne remporterez-vous pas vous-même la victoire ? ne cueillerez-vous pas des palmes magnifiques ? Voyez comme Dieu est injurié, et avec quelle douceur et quel calme il parle : « Où est ton frère Abel ? » Et que répond Caïn ? « Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? » Quoi de plus arrogant ? Qui aurait supporté cela, même de la part d’un fils ? Et même de la part d’un frère, n’eût-on pas pris cela pour un affront ? Mais Dieu reprend avec la même douceur : « La voix du sang de ton frère crie vers moi ». Mais, direz-vous, Dieu est au-dessus des atteintes de la colère. C’est pour cela que le Fils de Dieu est descendu, pour vous faire dieu autant qu’un homme peut l’être. Je ne puis être Dieu, direz-vous, puisque je suis un homme. Eh bien ! amenons ici des hommes. Et n’allez pas croire que je parlerai de Paul et de Pierre ; non, j’en prendrai qui leur sont bien inférieurs. Le serviteur d’Élie injurie Anne, en disant : « Allez cuver votre vin ». (1Sa. 3,14) Que peut-on dire de plus injurieux ? Mais que répond-elle ? « Je suis une femme qui ai l’amertume au cœur ». En vérité, rien n’égale l’affliction : elle est la mère de la sagesse. Et cette même Anne ayant une rivale, ne l’injurie pas ; que fait-elle donc ? Elle recourt à Dieu, elle prie, elle oublie sa rivale, et ne dit pas Elle m’a accablée d’ignominie, vengez-moi ; tant cette femme avait l’habitude de la sagesse ! Hommes, rougissons ; car vous savez que rien n’est comparable à la jalousie.
5. Le publicain, injurié par le pharisien, ne rend pas injure pour injure, bien qu’il l’eût pu s’il l’eût voulu ; mais il supporte tout avec sagesse, et dit : « Ayez pitié de moi qui suis un pécheur ! » Memphibaal[1] accusé, calomnié par un serviteur, ne dit rien, ne fait rien contre lui, pas même auprès du roi. Voulez-vous connaître la sagesse même d’une femme publique ? Entendez le Christ dire, quand elle lui essuyait les pieds de ses cheveux : « Les publicains et les femmes de mauvaise vie vous précéderont dans le royaume ». (Mt. 21,31) La voyez-vous debout, versant des larmes et expiant des péchés ? Le pharisien l’accable d’outrages, elle ne s’en fâche point. S’il savait, disait-il, que cette femme est une pécheresse, il ne la laisserait point approcher. Elle ne lui répond pas : Quoi ! êtes-vous donc exempt de péché ? Mais elle souffre davantage, elle gémit davantage et verse des larmes plus brûlantes. Que si les femmes, les publicains, les prostituées pratiquent la sagesse, même avant la grâce, quel pardon pouvons-nous espérer, nous qui, après une si grande grâce, sommes plus querelleurs, plus mordants, plus récalcitrants que les bêtes sauvages ?
Rien de plus honteux que la colère, rien de

  1. Memphiboseth dans la Vulgate.